C’était il y a bien longtemps, dans une lointaine galaxie… Celle de la toute fin des années 80 et de la Côte d’Azur. Moment et lieu où j’ai passé mon baccalauréat à 18 ans. Un « bac B », devenu depuis bac « ES » pour « économie & social ». Le contexte me revient plus précisément cette année, au fil des surveillances du bac que j’assure au Mans, devenu professeur. Les choses ont-elles si changé que cela ? Pas vraiment.

Prémisses loupés en 1ère
Les prémisses d’abord. Je me revois, deux ans plus tôt en fin de 2de, imposer devant ma prof’ principale (Me Saccoccio, et non pas Pavoshko) le choix du « B ». « Mais Dupin, vous avez les notes pour aller en S… vous êtes sûr ?« . Oui je l’étais, ni maths ni sciences-physiques ne m’attiraient par passion, alors que le littéraire, en tout cas les dissertations de sciences humaines, l’écriture, les idées, me faisaient triper elles. A cette époque, on pensait que cela avait encore de la valeur.
Un an plus tard, ça commençait… plutôt mal en fait. Au bac de français, j’avais reçu l’alerte nécessaire, le coup d’électrocution pour réfléchir. Je me croyais bon élève, je ne doutais pas, je tartinais mes copies au volume, et bam : 6/20 à l’écrit. La « mélancolie en littérature » m’avait tué pour de bon, sur laquelle je n’avais pu tisser qu’un « catalogue littéraire » selon le correcteur à la dent dure mais non sans raison. Une taule que j’avais compensée par un… 19/20 à l’oral, empoché dans la foulée sur un texte de Rousseau. Du coup je partais quand même avec… 40 points de retard. Ca la foutait mal pour un bon élève.
De fait, j’ai préparé le bac très différemment l’année suivante. Beaucoup plus de méthode, de discipline, moins d’assurance. J’avais accepté déjà, sur proposition de mon prof’ d’éco -le très précis M. Freu- de passer fin mai l’épreuve du Concours Général des Lycées dans cette matière. Une sorte de tour de chauffe pour roder la mécanique, éprouver la plume, mobiliser les idées. J’avais choisi un sujet sur l’histoire sociale de la France, mais il me manquait à l’époque de la culture et du recul sur la vie, le travail, les « forces » en présence, pour pouvoir bien le traiter. Une approche juste scolaire ne suffisait pas, je n’étais clairement pas assez mature. Pas grave, pas de regret, participer c’est déjà bien.
Ensuite, on avait commencé le bac en lui-même par les options : le dessin que j’avais pris notamment, m’avait un peu déçu. J’y avais mis le paquet pourtant, tout mon style et mon application, pour une réalisation assez néo-classique d’inspiration fantastique, au crayon noir. Mais un travail fort peu payé en retour, d’un 8/20. Les sciences physiques s’étaient beaucoup mieux déroulé elles et m’avaient déjà bien remis dans la course.
La méthode cours enrichis
Après, pour les épreuves majeures, la philo n’avait pas été si déstabilisante, ni l’histoire-géo ou l’éco. J’avais là appliqué à la lettre la méthode de notre prof d’histoire, M. Latina, des cours enrichis : celle d’une prise de notes simple en classe (sur brouillon), puis de re-rédiger un cours final au propre chez nous (sur cahier), en l’enrichissant de nos lectures complémentaires, idées, etc. Tout vous rentrait en mémoire sans aucun effort ou presque ! Après, on avait plus qu’à ficher un peu, puis monter des plans détaillés en y ajoutant toutes les connaissances/cas nous revenant à l’esprit.
Dans le déroulé du reste des épreuves, ce fut à peu près maîtrisé. Je passais le bac au Lycée du Parc Impérial, juste au-dessus d’Estienne d’Orves où nous étions en cours l’année. Le Parc, c’était un peu alors l’Olympe niçoise. Un bahut à fils et filles à papa, proche des cours de tennis en terre battue et des collines chics. Y grimper déjà, c’était quelque chose. Je me souviens d’une chaleur certaine cette semaine là, à peine atténuée par la verdure environnante. Mais un lieu apaisant aussi, moins urbain et bruyant que le reste de Nice.
La gestion du stress
Un couac quand même : juste avant l’épreuve de maths, mon ami Jean-Pierre m’avait posé une question en nous rendant dans la salle ensemble. Elle portait sur la formule adéquate à appliquer pour le calcul des probabilités. Je l’avais apprise par coeur, la pratiquais depuis des mois, mais sa question m’avait fait… douter juste quelques secondes avant. On ne trouvait pas la réponse ! Du coup, sur la copie, impossible de traiter, je bloquais. Fichue question coupant les cheveux en quatre : tout Jean-Pierre çà ! J’ai zappé cette partie du devoir et perdu quelques points bêtement. Pas lui. Ah l’amitié.
Je revois aussi durant une autre épreuve ce candidat à la frange longue (déjà à l’époque) stressé au possible : le surveillant était sans doute un de ses profs et durant une épreuve écrite, celui-ci était même venu discrètement dans son dos lire sa copie et lui glisser quelques conseils l’air de rien. Le lendemain je retrouvais le gus en oral d’espagnol… passant juste après moi. J’avais fait un festival perso (16/20) en me mettant une idée simple en tête : « parle en imitant un espagnol ». Ce qui s’était avéré efficace. Lui était livide derrière moi : je revois son regard quand la prof’ l’appela pour entrer à son tour dans la salle… comme happé, capté, condamné, figé. Limite s’il ne s’évanouissait pas. Nous sommes très inégaux face au trac, à la gestion du stress.
Au final, ça ne m’a pas empêché, malgré le retard du français, de décrocher le bac cette année avec 14/20 de moyenne générale et une mention bien. Couplé à mes plus de 14/20 de moyenne annuelle en 1ère et terminale, je gagnais un dossier solide. Qui m’a permis d’enchaîner cette année là dès l’été sur une prépa privée (au lycée Masséna) pour mieux présenter Sciences-po Paris au tout début septembre. Un examen raté à quelques poutièmes de points (mes parents divorçaient juste à ce moment là… badaboum familial), et qui m’ouvra pour le coup deux ans de prépa en khâgne dans ce même lycée. Et ce sera l’écriture, les Humanités, les disserts au km qui m’amèneront finalement au journalisme à partir de la fac d’histoire, mais ceci est… une autre histoire.
Le son du bac
Je nous revois avec Jean-Pierre, remonter une ultime fois la colline vers le Parc Impérial, pour lire les résultats du bac affichés au dehors à la mi juillet. Le bac c’est avant tout un son : celui dehors du brouhaha des conversations excitées, post épreuves ou devant les listes des bacheliers. Je l’ai entendu ces jours-ci à nouveau… il a quelque chose de profondément humain, fragile et touchant, décoratif et attirant ce son.
A cette époque aussi pas de web, pas de ParcourSup… Nous étions déjà depuis quelques semaines lancés dans notre rythme plage & beach volley qui nous occupait bien en bord de mer. Michel, un copain, bossait lui dans la brasserie familiale en bas du Bvd Gambetta, face mer. On avait interrompu notre sport quotidien pour aller lire nos noms, presque en râlant, parce qu’il le fallait bien. Je n’ai pas souvenir que nous doutions vraiment de l’avoir, mais c’était quand même une délivrance. Je revois aussi ce copain de collège (Fabrice) croisé dans la cour du lycée, l’ayant raté à 1 demi point, un peu désemparé… Je revois les pleurs des uns, les rires des autres, ce moment unique d’émotions mitigées et extrêmes. Pas de tel portable alors pour les sms aux parents ou un selfie entre copains. On était reparti sur la plage peu après, croisant en chemin un copain qui nous proposait de fêter cela au bord d’une piscine avec des bouteilles et de l’ambiance. On avait préféré le volley, la crème solaire et les embruns. On se séparait déjà toutes et tous, chacun/chacune sur nos voie estudiantines différentes, (in)conscients que la vie allait changer.
Le bac n’était qu’une étape vers un avenir déjà incertain même si un prof (toujours ce M. Latina) nous avait dressé le tableau (au tableau) très clairement : « entre 10 et 12, vous allez à la fac. Entre 12 et 14, c’est BTS ou IUT. Au-dessus, vous pouvez briguer les prépas aux grandes écoles« . Une façon de nous dire qu’il fallait produire des efforts pour être payé en retour, que désormais nos actes compteraient (bons ou mauvais) pour notre futur. Si juste.