Les journalistes, le digital, Twitter… le cas emblématique d’Europe 1

header rencontre E1Débat sympa hier soir, à Europe 1, faisant rencontrer les journalistes, animateurs, humoristes de la station avec des blogueurs et réseauteurs (dont j’étais). Il a été l’occasion de mettre en relief les besoins, envies, curiosités, élans qui amènent les journalistes à sortir de leur pré carré pour aller gambader sur les terres du web social. Mais aussi les freins, les a priori, leurs peurs, voire même les blocages qui ne les y poussent que tard voire pas du tout.

Et c’est là que ça m’a intéressé vraiment. Surtout parce que moi-même ancien journaliste, j’ai réglé assez vite la question de ma propre mutation digitale. Ce en bloguant dès 2003, en réseautant depuis les années 2007/2008 et en en ayant fait depuis ma spécialité professionnelle. Trop tôt ? Sans doute pour en faire une marque de fabrique et que le corporatisme la reconnaisse.

Cela m’a intéressé aussi pour les petites phrases qui sont autant de mini lignes de fractures qu’on sentait poindre sous le vernis rassurant de l’enthousiasme communicatif. Avant de pinailler plus loin, je serai net : Europe 1 est une sacrée bonne radio, et ses tranches matinales sont un pur plaisir à suivre tant sur les ondes que via les réseaux sociaux. Les deux flux se marient parfaitement et le tout informe, détend, dynamise. Que demander de plus à une radio populaire ?

Le pinaillage maintenant.

wendy bouchardLe cas des jeunes m’a frappé d’abord. Wendy Bouchard et Sonia Mabrouk avouent s’y être mise tardivement. Une « erreur professionnelle » souligne quasiment la tweeteuse Louisa Amara, non sans raison. Mais les deux jeunes femmes ont leur raison, elles aussi : principalement une certaine gêne à aller sur terrain du perso, du déconnant, de l’intime. Thomas Sotto lui, parle d’un « devoir de réserve » pour éviter notamment sur les sujets politiques, d’être coincé par ses interlocuteurs. Un contexte qui nuirait à une certaine vision de l’info importante… Préciosité que n’a pas en revanche David Abiker, Tintin testeur et malin s’il en est, assumant lui sa « déconnitude » si je puis dire.

Ce que j’en retire : disons que deux écoles de journalisme se complètent. Celle de l’info quotidienne pure, souvent formée en écoles de journalisme classiques, qui a ses réserves et ses limites. Puis celle de l’info surtout mag ou web, souvent formée en autodidacte, qui voit cela avec plus de souplesse et de curiosité. Et tant mieux.

Autre surprise pour moi. Quand j’ai entendu ce message, j’ai demandé à la fine équipe si formations et chartes étaient travaillées en groupe, pour permettre de revoir, d’uniformiser les pratiques, de les poser aussi. Et là, un silence certain dans les rangs. Le règne de l’appréciation et de la gestion personnelle semble s’imposer, sans que cela ne gêne l’entreprise. Ce qu’Emmanuelle Patry (équipe social media d’E1) appelle « le bon sens », mais qui s’appuie sur les personnalités des journalistes. Des pros et parfois aussi des « grandes gueules » à qui on ne va pas la faire, ni leur imposer des « leçons » ou carcans jugés d’emblée comme trop lourds.

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Sotto, Bouchard & Mabrouk (pic by @Bullesdeflo sur Twitter)

C’est quand même étonnant -pour moi qui ait accompli la grande migration de la presse vers la com’ d’entreprise– où il est tout à fait normal de cadrer le propos, de définir les does & don’t, de poser des rails pour justement… espérer s’en affranchir après ou tout du moins les éviter. Le journalisme -en tout cas celui vécu à Europe 1- semble faire encore dans l’empirique, l’artisanal. Ce n’est qu’une apparence. Car cela existe tout en ayant fortement professionnalisé la gestion et l’animation des réseaux sociaux avec une équipe dédiée (et pro : bravo JN Buisson et E. Patry notamment). Pour le dire autrement : le filet de sécurité existe bien, fonctionne en back-up, mais il doit se faire oublier.

Collaboration ludique

Pour autant, il était drôle de constater que le fait de se retrouver lors d’une soirée -hors diffusion sur les ondes et direct- pour causer avec des « étrangers » (que nous sommes), a créé comme une émulation, une envie d’échanger… entre eux déjà. Ca se sentait dans les échanges. Pour la journaliste Eva Roque -que je questionnais sur ça lors du cocktail- c’est assez normal car les plumes/voix passent leur temps à se croiser, courir après rdv et studios, et pas vraiment à échanger sur le fond de leur pratiques social media et leurs questionnements. Dans le cas d’Eva même, la semaine est longue car la journaliste enchaîne avec ses responsabilités à Télé 7 jours. Pas du non-stop, mais pas loin non plus; il faut la passion certes, mais aussi la foi pour tenir ce rythme.

Ces pratiques d’échange pourtant, se détendent, en équipe, et par le biais ludique. Exemple : Axel de Tarlé. Le journaliste économique (pourtant à peine 45 ans au compteur) refuse Twitter, et c’est visiblement un sujet entre eux. Sujet de détente entre journalistes de la tranche matinale notamment, et dans un mode collaboratif. Eva Roque admet qu’elle sert un peu de liaison entre de Tarlé et la communauté Twitter. JP Balasse indique lui que lorsque des bêtises sont dites entre les bureaux, le mot « Périscope ! » est lancé à la cantonade, pour indiquer que c’est peut-être live-streamé… Vrai, faux, on ne sait pas. Mais ça devient un gimmick.

Twitter, c’est trop méchant

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T. Sotto (via @IsabelleSpanu sur Twitter)

Il y a l’humour, mais aussi son correctif : la prise de tête. Le débat n’a pas évité ainsi non plus la phase consternée du « que de violence sur Twitter » qu’on entend beaucoup en ce moment, et qui finit par me gratouiller sur les bords et les contours. Oui il y a des trolls, des haters, des spammers, etc. Mais comme je le répondais à Thomas Sotto, non, un réseau social n’est ni bon ni mauvais par essence; il n’est pas non plus violent ou gentil. Il est juste ce que les gens en font, à un instant donné et sur la longueur, comme n’importe quel autre outil de communication. Je reprends ici mon analogie favorite du marteau : il peut enfoncer des clous et créer des oeuvres d’art; il peut aussi servir à défoncer un crâne et tuer. Je concède en revanche que ces réseaux sociaux sont de puissantes chambres d’échos, des grosses caisses de bruit… qui nous prennent de court et nous assomment parfois. S’il fallait avant donner une interview, sortir un livre, faire une émission télé  pour lancer sa « petite phrase »… oui maintenant on peut en sortir une en une seul tweet ou même un commentaire. Est-ce injuste pour autant pour le Grand Dieu Média ? Non c’est juste un monopole qui apprend à vivre avec une concurrence.

Plus embêtant quand même, quand revenaient sur la fin du débat des a priori que je croyais avoir disparu de la lande digitale depuis longtemps. Et notamment de la part de David Abiker (!) : l’ex monsieur DCDC (« Des cliques et des claques », émission pourtant emblématique de la démocratisation du social network) a fini par glisser que ho, hé, hein, bon, « Twitter c’est quand même une vaste déconnade »; et que la presse, les médias, les journalistes officiels sont bien là pour (heureusement) remettre les choses en place, trier le bon grain de l’ivraie et donner au peuple une nourriture spirituelle affinée et de meilleure cuvée.

Je ne le suis pas du tout sur ce terrain. Je pense que les réseaux sociaux ont créé un objet média disruptif, totalement inédit qui justement est si difficile à admettre pour la presse ainsi concurrencée. Hé oui, celle-ci peut être totalement contournée dans la génération, la diffusion et le commentaire de l’info chaude. On ne reviendra pas en arrière, sauf à demander comme les taxis de supprimer sine die toutes les voitures VTC… donc tous les réseaux sociaux.

La (re)découverte Apathie

laurent dupin jean michel apathie europe 1Je titille volontairement, car j’écoute, lis et apprécie toutes ces plumes et grandes voix. Et je me révise aussi. La lumière m’est venue contre toute attente hier des propos (et de la rencontre) de Jean-Michel Apathie. J’avoue : j’avais des a priori à son sujet et sur son bloguing. Mais à l’écouter en parler, il partage nombre de mes convictions d’encore journaliste, lorsque j’ai commencé à bloguer en 2003. L’envie d’approfondir totalement un sujet, de jouir d’une liberté éditoriale quasi totale, d’être « chez soi » pour une fois, etc. Je lui relatais le fait avéré (mais oublié) du pourquoi des débuts des blogs éditoriaux : ceux que tenaient les journalistes américains lors de la guerre en Irak, et qui avaient fini par créér un précédent. Car on les lisait plus que les articles des journaux que rédigeaient ces mêmes personnes dans leur canard, et leurs patrons avaient fini par y mettre un terme.

Journaliste ou blogueur, telle était alors la question pour « choisir son camp » et j’ai longtemps bataillé, personnellement et avec conviction, pour faire comprendre par exemple à un Loïc Le Meur qu’on pouvait tout à fait être les deux. Car le digital, appelé avant le web 2.0, c’était justement ça : l’absence d’étiquettes et de cases. Alors pourquoi en recréer stérilement ? Peu importe finalement, comme le glissera par vidéo Nikos Aliagas, le support ou réseau par lequel on passe : l’essentiel est dans utiliser un. Ce que j’ai appelé le « premier acte social media » du journaliste.

Hé oui, le réseau peut produire des merveilles

#croisonslesLumière aussi pour le « special tribute » (mérité) fait à Guillaume TC et ses #CroisonsLes, qui assistait à la soirée, côté blogueurs. Les multiples questions qu’il a reçu de l’équipe E1 montre qu’une créativité débridée et diffusée via les réseaux sociaux a sa place. Et que les médias en l’espèce sont suiveurs et ne font que constater un « nouveau média » original, né hors d’eux et se développant sans eux. Peut-être serait-il bon, comme Guillaume le frôlait dans sa question, de voir pourquoi de nombreux talents de plume, de design, d’animation… n’ont pas de boulot dans les médias actuellement ? Talents gâchés ? Peut être parce qu’aussi une certaine presse déconsidère les réseaux (le fameux mot « twittos » que je déteste tant, j’y reviendrai dans une note spécifique), ou les considère comme un bac à sable de créa où aller puiser inspiration, rebond, matière sans trop d’effort. Et sans aussi, il faut le dire, payer. Et nous le faisons tous par nos pratiques !

Mais là il faudrait reparler de sujets bien moins marrants (la crise de la presse, la concurrence du web, l’avenir de la profession…) et peu au diapason des bulles de champagne avec lesquelles on terminait la soirée. Je constate que dans son sein, une belle marque média comme Europe 1 semble peu y songer… Normal, dans un beau château, on imagine jamais que l’assaillant pourra percer la muraille épaisse rassurante. Et il faut l’avoir vécu pour comprendre que le périmètre et les métiers des médias ne sont radicalement plus les mêmes, ni ne permettant des carrières sinon placides du moins tenables, pour toutes et tous. J’y reviendrai et y reviens régulièrement sur ce blog. Stay tuned 😉 si vous avez plaisir à me lire et contre-argumenter. J’adore ça !

Public/privé, mode d’emploi

La critique -assez snipper d’Abiker à vrai dire- s’est prolongée sur le mode du… baiser de la veuve noire s’il fallait donner une image claire. Pour lui, « Twitter n’est pas totalement public mais semi domestique ». Et son « soyons indulgent à son égard » renvoie à la vision bac à sable des réseaux sociaux. Je dirai : ça dépend votre honneur. On ne peut pas qualifier, étiqueter pour moi une telle masse d’informations, de propos, de postures. Si Twitter a été telle chose à un moment (un cour de récré mal sruveillée), il est devenu aussi tout autre chose. C’est comme de dire, la place du marché quand même, le samedi matin, c’est un gros bordel, on y comprend rien. Tout dépend si l’on sait y faire ses courses, ou si l’on préfère l’aseptisation des linéaires des supermarchés.

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J-P Balasse (via @loutro1990 sur Twitter)

Enfin, J-P Balasse achevait ce tableau en comparant réseaux sociaux et smartphones : « le vrai luxe demain, sera t-il de ne plus en avoir ? ». J’adhère a demi. Oui, le silence et le temps de réflexion « sans pollution », sans zonzon, sont un luxe en devenir. Oui, quand les villes sont trop polluées, il faut bien réguler la circulation. Mais le côté « olala, que c’est chiant d’être dérangé tout le temps, on y arrive plus entre toutes ces sollicitations », me fait penser à ses bourgeoises soufflant dans un demi rot post déjeuner un « olala, que c’est chiant d’avoir un système digestif ». Derrière le « dérangement » il y a aussi celle de la remise en cause du travail d’information par un public désormais participatif. Ce n’est pas nouveau : dès les « UGC » (user generated content) et les commentaires sur les sites, on évoquait cette menace. Perso, je l’ai toujours trouvée plutôt comme un atout, une marque d’intérêt et un contenu précieux.

Hé oui mesdames-messieurs, le « connecting people », marketé hier et généralisé maintenant, a un prix à payer. Peut-être juste celui de la conscience de l’usage et de la discipline de soi. Ca s’appréhende en famille, durant l’école, la formation… et ne peut pas se trancher sur un coin de table, fusse t-il celui si chaleureux du studio moquetté d’une radio nationale.

Lire aussi : la note du blog de @MadameParle… « Les journalistes d’Europe 1 sur Twitter« 

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