La deuxième vie (rêvée)

On sait depuis la crise du Covid la difficulté du cinéma à réattirer les foules dans les salles avec des films à forte audience, ou tout simplement intéressants. Il en est un actuel sur les écrans français : « Les enfants des autres« , de Rebecca Zlotowski. Comme souvent, c’est sur les ondes radios que le déclic m’est venu un matin de septembre, en voiture : la réalisatrice parlait sur France Info de son long métrage en des termes assez francs et séduisants. Façon : « je cherchais un film sur les couples reconfigurés et leurs difficultés… je ne l’ai pas trouvé, alors je l’ai fait« . Un moteur classique dans la vie créative, en général.

De fait LEDA parlera à beaucoup de monde connaissant ou ayant connu cette situation, moi comme tant d’autres. Ses qualités premières sont sa grande sobriété, son « naturel » si l’on peut dire, qui en fait une chronique sociale, ou une comédie de moeurs… soit un cran en-dessous du drame à proprement parler. Car je veux y voir un éclair de positivité et d’espoir, j’y reviendrai.

Sur le fond, le sujet fait réfléchir sur nos vies modernes, emportées dans une tendance lourde des générations post années 80 : culture du zapping, de la vitesse, domination des écrans et des connexions, perte des modèles classiques… tout concourt à bousculer nos destinées et les précipiter dans l’effusion permanente. Y compris la dimension sentimentale. On vit, on change, on permute, on casse et refait… sans cesse. Rachel, l’héroïne campée par Virginie Efira se prend les pieds dans le tapis de la vie complexe : celle d’un homme qu’elle rencontre via l’art (ils sont musiciens), qui la séduit mais qui a problème. Il n’est pas vraiment, pas totalement disponible, car il a une petite fille de 4 ans et une « ex vie » qui pèse encore au présent. Mais elle ne le sait pas de suite, et d’ailleurs c’est normal : excitation et dolce vita comblent d’abord tout couple qui se forme… avant de se dire les choses de nos vies et leurs fantômes, dans un deuxième temps.

La souffrance se fiche alors dans les interstices, les failles, les bribes de vie en apparence policées mais en réalité assez dur. Le commentaire d’un enfant (« pourquoi elle est tout le temps à la maison ?« ), son regard méchant détourné, son énervement impulsif… Et surtout le renoncement du conjoint : qui malgré l’amour du coeur et du corps, malgré la belle rencontre, malgré les déclarations… fait au moment des choix, une priorisation blessante. Elle passera en second par rapport à l’enfant, elle devra s’écarter par rapport à la vie, elle devra comprendre, se taire et sourire.

L’acteur (trop rare au cinéma) Roschdy Zem incarne parfaitement Ali, cet homme reconstruit, voulant une seconde vie mais finalement pliant face au poids du présent (sa fille) et du passé (son ex femme). Est-il lâche ? Plus simplement dépassé et pas assez empathique. Il ne voit pas la douleur qu’il génère, étouffée chez son amie, discrète et efficace combattante du quotidien, qui veut ce rôle de belle mère qu’elle n’ose pas dire. Mais qui se voit comme telle dans le regard des autres : à l’école, dans le cercle amical, avec ses proches, etc. Seul son ami n’a pas encore compris.

Etre ou ne pas être

Autre ligne de fracture : comment s’installer dans la vie de quelqu’un qui n’est pas prêt pour cela, mais voudrait quand même avancer ? comment être à la fois au coeur du dispositif et sur les bords ? comment exister en couple sans déranger autrui ? Etre ou ne pas être en somme. Un exercice d’équilibriste ardu et multi fronts. Dans le film, il n’y a qu’une enfant : imaginez le schéma multiplié par 2, 3 enfants et des deux côtés, avec autant de possibilités de se louper, de mal faire, malgré toutes les bonnes volontés du monde. Dans le film, il n’y a « qu’une ex »… imaginez avec 2, ou plusieurs histoires du passé de part et d’autres qui s’inviteraient au quotidien par proximité réelle ou simple souvenir récurrent. Nos jardins secrets sont souvent aussi… nos enfermements et petits compromis avec notre conscience. Et plus on avance dans la vie, plus on doit composer avec ce « passif ».

C’est tout le sel de ce que l’on nomme rapidement « la deuxième vie », ou le couple, la famille recomposée. Certains en ont peur et préféreront le statut quo de la relationnette sans trop d’implication pour ménager tout le monde, et avant tout soi même. Chacun chez soi, pas de vie sous un nouveau toit commun, et on se voit juste pours les bons moments, les « bulles » de plaisir en escapades ou vacances prioritairement. On ne prend pas de risque ainsi ici, on fait du surplace, mais au moins c’est maitrisable, contrôlable, tenable… bref « pas trop chiant ».

Excitante cette vie 2 l’est par tous ses possibles à portée de main, mais demeure frustrante souvent par ses écueils douloureux et précipités. Une chose est sûre pour le couple du film comme pour tant d’autres dans la vraie vie : on ne reconstruit pas sur une base non apaisée, non claire, non ouverte. Elle implique la volonté partagée et à parité des deux amoureux, mais aussi des entourages. Les enfants restent un traitement à part… comment les préserver de leur douleur (la perte du schéma familial du passé), tout en les motivant dans de nouvelles configurations dont on est soi même pas sûr ? Comment les aimer et les élever sans s’oublier comme homme ou femme ? Vaste question.

A défaut de réponse, l’on reste ce que lâche le personnage de Rachel dans un moment de fatigue : cet « éternel figurant » qui n’a droit à rien que de s’adapter… quand l’autre (Ali) se sent lui un potentiel « piégé ». Postures inconciliables d’incompris réciproques ? Ferment de disputes et ruptures inévitables ? Non bien sûr, chacun y apportera sa sensibilité et ses variantes, ses solutions progressives ou radicales, selon ses moyens. Mais des postures qui disent toutes les blessures que la vie sentimentale réserve malgré les kyrielles de romans, films et séries qu’on a écrit dessus et qui auraient du nous y préparer mieux.

Et comme Rachel s’en va sur la dernière image du film, dans un élan figé et souriant dans la rue, plein de possibles… croyons au sourire de demain et à notre envie du présent. Ne les perdons pour rien au monde.

L’humain reste décidément une bien belle et surprenante aventure.

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