Cet été 2021 a été l’occasion d’un vrai retour dans le sud. Je ne l’avais pas prévu ainsi, mais c’est un mois entier que j’ai passé chez les miens, auprès de ma famille et de mes amis. J’ai notamment pu revoir plus longuement mes parents. Mon père m’a lui fait une demande… originale : « Laurent, pourrais-tu nous emmener à Peira Cava ?« . Rien que le nom est magique, car il évoque en moi les vacances de l’enfance. Mes parents, ma famille n’étaient pas de grands aventuriers des routes lointaines l’été, ni des adeptes des clubs de vacances. Nous bougions un peu à Juan-les-Pins (le St Tropez local), en Italie (à San Remo derrière la frontière) puis en montagne, dans ce fameux Peira Cava.

Il s’agit d’une petite station perchée à 30 km de Nice, au bout d’une route de lacets qui peut en épuiser certains. Notamment ceux qui ont l’estomac sensible. Deux chiffres témoignent sur la page Wikipedia du village de l’importance et de la qualité du lieu : 80 habitants à 1500 mètres d’altitude. Autant dire qu’on y très tranquille.

On est allé revoir Marie-Jo (Marie-José, photo ci-contre), qui y tenait à l’époque une pension de famille avec ses parents et son frère. Souvenir mémorable de cette grande bâtisse à fleur de pan de montagne, dressée dans la plus parfaite vision du vieille hôtel des hauteurs à la française. Boiseries sombres, nappes à carreaux rouge/blanc, décoration fouillie et animalière… J’adorais le lieu. Je me revois encore avec un copain de vacances, Stéphane je crois, nous caler dans un fauteuil, dans une pièce au-dessus de la salle à manger, pour nous mater l’épisode du samedi soir de Starsky & Hutch, sur télé noir & blanc tandis que les parents passaient au digestif et aux conversations politiques.
Techniquement, l’hôtel était atteignable en prenant un petit chemin sur la gauche en entrant dans la commune, limité par un muret de soutien en face, et ouvrant sur le paysage montagneux juste en dessous. Deux petites marches en sous-bassement pour y entrer lui donnaient encore plus le sentiment de se trouver dans un petit lieu à part, protégé, accueillant… un vrai relais au sens des auberges d’autrefois. De fait, je restais souvent devant son entrée gamin, pour jouer aux billes ou siroter un Orangina sur une table, sous un parasol. Les promeneurs et randonneurs s’y asseyaient facilement aussi, pour quelques minutes de repos avant de repartir dans leurs pérégrinations. C’était un vrai point d’étape, toujours plein de vie.

Je revois Marie-José, très typée niçoise dans sa jeunesse, il y a 30 ans : une brune au tempérament de feu, bien bâtie, dressée sur ses sabots avec une poitrine énorme et des bras musclés habitués à tout faire. Je revois aussi le frère de Marie-Jo, moustachu typé italien à la raie des cheveux bien appliquée, apporter les grands plats du dîner dans la salle à manger (photo), fumants de viandes et légumes, avec sauce forestière. Un délice. Je ressens encore le goût du sandwich au jambon de l’après-midi, que le grand-père de la maison assis sur sa chaise avec sa canne, me proposait. « Tu as faim dis mon garçon ?« . Comment refuser un quart de pain de campagne à grosse croûte craquante, avec du jambon blanc premium ! Bien sûr que j’ai faim, et même deux fois. Et je le croquais dans le hall d’accueil, devant le comptoir du bar où passaient de temps en temps des randonneurs anglais ou italiens, bob sur la tête, pic de marche en main.
Les chambres dans cet établissement étaient aussi un pur voyage. Dans mes souvenirs d’enfant, de gros lits épais, avec matelas où l’on s’enfonce bien, édredon, couvertures en couleur. Et l’inévitable grande armoire rurale à la porte qui grince, où nous rangions nos affaires de le temps d’une quinzaine. Que de belles nuits j’y ai passées, dans cette ambiance et ces odeurs suaves de bois, linges propres et sachets de sent-bon… lavande ou naphtaline ! Ouvrir la fenêtre le matin sur le paysage montagnard, au son des petits oiseaux, la peau réchauffée par le premier rayon de soleil… était un vrai délice.
Dehors, autour, c’était un chemin balisé et assez simple. Peira Cava n’est pas une énorme station façon Valberg ou Auron. Le village était composé d’une rue principale qui débutait (dans le sens de la montée) par le dit hôtel, puis alors du camp de scouts (un ancien régiment) où nous passions devant, le camp de vacances un peu plus loin, et le magasin général. J’adorais y aller l’après-midi, car il sentait bon les journaux fraîchement imprimés (Pif Gadget et Strange pour ma pomme) et les bonbons que j’allais acheter, puis consommer plus tard en picnic ou en soirée. On poussait aussi un peu plus loin vers la Vallée des Merveilles, et parfois on grimpait jusqu’au Col de Turini, vers ce relais de montagne spécialiste des tartes aux myrtilles sauvages. La balade était sportive, par endroits il fallait grimper un peu et s’accrocher aux herbes, éviter de glisser sur les cailloux. Bref ça donnait de l’appétit pour le retour au soir à l’hôtel !
Dans des balades un peu moins lointaines, on pouvait aussi aller dans des prés où j’adorais jouer au foot avec mon père, ou au tennis balle mousse. Ah, cette fameuse balle jaune qui finissait invariablement désagrégée, bouffée à force de coups droit et services ! Ah cette sensation de rejouer Roland Garros au moindre point sur des terrains juste pouissiereux. On recherchait aussi les prés avec le moins possible d’herbes hautes, pour éviter les chatouillis mais aussi (c’était son obsession à papa) les morsures des serpents. A croire qu’on vivait sur planète vipères pour lui ! Mais il est vrai, il fallait parfois faire attention où l’on mettait les pieds.
On rentrait en fin d’après-midi ou début de soirée, et ça commençait par un verre sur la « terrasse panoramique », face aux montagnes et au silence. Un peu plus loin, on pouvait aller à la table d’orientation pour mirer encore mieux le paysage environnant et apprendre les noms des lieux-dits et des pics. C’était simple, il n’y avait aucun smartphone pour se cacher, c’était les années 70/80 au temps de l’ancien monde, celui qui fleurait bon la France vieillotte d’avant.
Aujourd’hui, vous l’aurez compris aux photos ici, il n’y a plus de touristes ni de visiteurs venant dans cet hôtel, il n’y a plus de vie en ces lieux. Marie-Jo n’a pas vendu et en reste la seule occupante. Vision un peu triste de cette bâtisse fantôme vide mais pas morte et encore emplie des rires, paroles, langues étrangères du passé résonnant entre ses murs. J’ai fermé les yeux un instant durant la visite et j’ai ressenti tout cela, revu les images. Bien ce qu’on appelle un pèlerinage.