Quand Pantagruel ripaille en secret avec Bacchus, sous les yeux de la plèbe confinée. Le constat est consternant : à Paris, certaines élites s’adonnent à la pratique des restaurants clandestins chics, de façon répétées. De la galéjade sauce Chalençon révélée via réseaux sociaux et JT d’M6, on passe désormais à la pure enquête de Mediapart… Mais si tout le monde se concentre en meute sur les prestataires de service incriminés qui prennent cher, peu ou personne ne regarde le vrai soucis, le dessous de l’iceberg, la leçon à en tirer : sur le comportement de nos élites.
Un petit milieu privilégié pratique sans gène le contournement des directives sanitaires, pour une seule et bonne raison : leur habitude à se gaver. Les milieux de pouvoir (politique, économique, médiatique) ont ce problème tout con, tout bête de… ne pas savoir où manger de façon normale. Je veux dire autrement que dans des adresses coûteuses, prétentieuses, dispendieuses voire indécentes. « Mais c’est la France, c’est la gastronomie, c’est chic ! » nous répondra le jouissif. « Regardez les démocraties nordiques… » rétorquera le rationnel observateur.

A propos de système politique, ouvrons les yeux. Ayons de la mémoire déjà : n’a t-on pas connu il y a peu une affaire des homards, impliquant l’ancien Président de l’assemblée nationale ? On a visiblement rien appris depuis… Il y a quelques années, j’avais visité coup sur coup l’Assemblée nationale et le Sénat. Le premier sur invitation d’un député de la région où je vivais alors (Normandie), le second pour un reportage en magazine. Point commun aux deux lieux de pouvoir : une gène face au luxe ostentatoire présent, et notamment les restaurants mis à disposition de nos édiles. Il est de notoriété publique que les tables alentours sont toutes onéreuses et que tout s’y passe, s’y décide, s’y noue. Il faut en être, sinon on est pas du sérail, on loupe quelque chose, on aura pas toute la panoplie.
Zap. Je me souviens aussi de mes allers et venues autour de la radio Europe 1 (ancienne adresse), qui était aussi non loin de l’ex siège de France Télévision, dans le quartier de la rue François 1er, dans le 8e arrondissement. Dans ce so chic quartier rempli aussi d’ambassades et de sièges de grands couturiers, pas de restaurants accessibles ni troquets à vue de pif. Les habitudes « entre midi et deux » vont aux tables bourgeoises, chères, grasses. Je réentends ce journaliste qui me confiait avec l’évidence du convaincu : « ah bah oui, depuis qu’il fait des chroniques matinales ici, ce comique a pris 10 kgs au moins… il était pas habitué à bouffer tous les jours au resto !« . Parce qu’il y a obligation à le faire ? On devrait mener une enquêté culino-sanitaire auprès des élites des médias : et vérifier à tous et toutes leur surpoids. On est peut être pas le géant américain avec ses fast-fooderies, mais on se gave à notre manière.
Zap. Je repense aussi aux pages crues des Confessions d’un baby boomer, by Ardisson. Son co-auteur y parlait en aparté de leurs rendez-vous de travail pour torcher l’ouvrage, à la table du George V où l’illustre homme en noir avait ses habitudes déjeunatoires. En soi ça allait encore pour les plats, mais la note s’alourdissait sacrément des vins (pas de bouteille à moins de 1000 euros). Qui peut se payer durablement des déj’ de ce calibre ? A partir de quand la vie de nabab vous prend-elle ainsi et vous fait perdre tout sens de la mesure ?
Pour ma modeste pomme, j’ai connu notamment les quartiers de Saint Lazare (journaliste en presse au CXP), de Levallois (journaliste web à ZDNet) et le constat était cinglant : à déjeuner tous les jours dans des bistrots, la note devenait rapidement salée ! Or peu d’entre nous amenions nos casses croûtes préparés… A l’époque, entre 15 et 20 euros pour un plat, un dessert, café. A 5 jours de déj’ la semaine, on atteignait déjà pas loin de 90 euros, donc en un mois 360 euros. Pas rien pour des salaires alors dans les 2500 à 3000 euros. De quoi tirer le diable par la queue pour nombre de mes collègues qui vivaient (en locataire) aussi sur Paris. En gros patates et lard le soir à la maison, pour se payer le luxe de louer et déjeuner sur Paris intra muros en semaine. Pathétique.
La presse « IT » où j’ai officié durant une dizaine d’années m’avait aussi montré combien le moindre Microsoft, HP, SAP, Cegid, etc, etc. sortait de suite le carnet de chèque et la résa osée pour inviter et rincer les journalistes spécialisés dans les plus grandes tables de Paris. Je revois encore ce directeur « RP » (relations publiques) d’une boîte informatique de Las Vegas confier qu’il avait peine à trouver à chaque fois des adresses « attirantes » pour faire bouger les scribouillards. Et je l’avoue, c’est en effet par ce biais que j’ai connu les plus grands restaurants de Paname… souvent d’ailleurs des restaurants « cachés », c’est à dire discret, sans aucune vitrine, affiche, attirance extérieure. L’homme (et la femme) de pouvoir aime à manger dans un endroit type « maître » du monde, club select d’initiés. Ou la carte est évidement plus cher… ça va sans dire.
Restos discrets déjà
A ce propos, vers 2010-2015, je résidais sur Paris dans le quartier de Wagram, quand je travaillais à La Défense. Prenant le métro à Villiers, rentrant le soir je passais souvent rue de Tocqueville devant un restaurant qui m’avait interpellé : l’Augusta. Vitres cachées, maître de rang faisant le planton dehors (barrage en fait), ballet de berlines devant le soir… A force de se croiser, je lui ai parlé un jour… tout naïvement : et c’est là qu’il m’avait expliqué ce qu’était son établissement. Une cantine nocturne pour grands patrons ne souhaitant pas rentrer chez eux de suite, et prolongeant leur journée d’affaires dans une table chic. Je lui avais demandé si un jour moi je pourrais dîner ici (car ça sentait bon !)… il avait poliment souri. Et on se contentait de se saluer à chaque fois.
Moralité de ces aperçus et moeurs culinaires : il y a peut être un angle non encore abordé pour traiter le problème des restaurants clandestins de la capitale. Soit en amont dégonfler le melon et les prétentions des élites parisiennes, leur ouvrir les yeux sur la réalité du reste du pays et… mettre l’argent là où il serait plus nécessaire. Pas uniquement dans les poches des patrons des tables de haute cuisine pensées en clubs fermés, uniquement destinées à les flatter, à les gaver, à leur chanter louanges. Travaillez votre ligne et investissez sur votre santé plutôt !