Les lettres, la réflexion, l’écriture, bref l’intelligence… valent souvent cette posologie nécessaire à soigner tous les maux de l’existence. Individuels comme collectifs. Il en va de même de notre grande expérience mondiale de l’épidémie du Covid-19 et des phases (il faut désormais mettre au pluriel) de confinement installées pour la contrer. A 8 auteur(e)s, nous avons travaillé depuis mars et lançons ce jour un projet de recueil de nouvelles sf/fantastiques sur ce thème. Voici sa genèse et son pitch global.
Viralex, sedlex… Le virus nous a en effet tous cueilli depuis la mi mars 2020, dans le monde entier. Nous avions oublié, pas vu, pas compris que les technologies dont nous nous bardons depuis l’aube des temps civilisés, toute cette modernité fière et conquérante… ne nous protègent en rien des risques fondamentaux, des menaces vitales, des peurs primales. Ici virales… ça rime. Au mieux, nous tentons de les éloigner, de les tenir à bonne distance derrière des digues de fortune, des images d’Epinal, des croyances fragiles. Le docteur en blouse blanche, le scientifique dans son labo, le militaire déployé sur le terrain, le policier en surveillance, le politique au discours rassurant… Nous nous cachons derrière nos certitudes et nos faiblesses surtout.
La maladie en fait partie. Et le virus, son vecteur présent aussi. La petite bête tapie dans nos cellules avance, nous résiste, nous court-circuite.
Le virus est aussi ce thème devenu peut-être trop banal dans la littérature et le cinéma de science-fiction justement. Il est là régulièrement depuis les années 70, à coup de romans ou films catastrophe qui ont marqué notre jeunesse. Il est tellement là qu’on l’en aurait oublié. Les laboratoires secrets, les professeurs fous, la guerre bactériologique, les espions au milieu… et puis à terme cette fin du monde et de l’humanité qui a été jusqu’ici qu’un cas purement théorique, une figure de style. Un cas dont nous ressortions en général indemne et avec brio, malgré un peu de “casse” à compenser sur le chemin et quelques morts glorieux à pleurer. Le Bien finissait toujours par vaincre, même dans des visions post apocalyptiques sans espoir comme celle de la série télé (et avant cela formidable BD) “The Walking Dead” (photo ci-dessus).
Références visuelles et écrites
Si Viralex devait justement se trouver des références visuelles et filmées, le projet se calerait certainement entre la série britannique “Black Mirror”, pour la précision de ces visions d’anticipation, et son aînée américaine “La Quatrième Dimension”, pour l’imagination sans réserve portée à une frayeur de base. Plus axées monde post apocalyptique, nos yeux ont aussi vu dernièrement la nordique « The Rain« , ou encore « The Leftlovers« . Au cinéma, des oeuvres plus récentes comme le film “Io” de Jonathan Helpert (pour sa vision de la déconfiture civilisationnelle), “Vivarium” de Lorcan Finnegan (pour sa vision du confinement fou), ou encore “Aniara” (pour son trip poétique sur la fuite spatiale en avant) nous ont certainement inspiré. Plus anciens, “Soleil Vert” ou “L’Age de Cristal” ont leur place dans les trips s-f sur la mort organisée à grande échelle. Enfin mention spéciale pour un film un peu moins « box office », mais qui eut son petit succès à la fin des années 70 : « Le Pont de Cassandra » (photo ci-contre) racontant une contamination virale accidentelle partie d’un laboratoire, pour finir dans un train à l’échappée folle…
Dans les textes littéraires enfin, et courts d’abord, les contes de Maupassant (pour leur simplicité légendaire, leur regard d’acuité et leur sens si humain), les nouvelles de Buzzati ou de Calvino (pour leur absurde si surprenant et hors norme), nous ont aussi montré le bon timing et le sens vicieux de la chute. En plus long, un roman classique comme « La Peste » de Camus se fait écho à quelques passages du « Parfum » chez Suskind, quand les romans les plus effrayants de Stephen King (outre « Le Fléau ») ou Graham Masterton (« Le Portrait du Mal »… vu comme une contagion) ont complété le terreau fertilisant de notre approche écrite commune. Hors des terres fantastiques, des textes fondateurs de notre société contemporaine comme « Matin brun » de F. Pavloff, ont mis la peste sur un autre terrain que médical et gratté notre habituation à la lâcheté collective.
Génération perdue…
Approche commune aussi car nous sommes sur Viralex plusieurs écrivants, écrivains réunis. Nos mots clés professionnels partagés sont ceux du journalisme, de l’enseignement, de la communication, du numérique, de l’innovation… Culturellement nous sommes tous des enfants de baby boomers, des tenants de la Génération X aux goûts hybrides et anxieux. Après tout, ne sommes-nous pas aussi cette “génération perdue” ? Nés dans les crises économiques et pétrolières, dans le chômage endémique, nous avons grandi dans le cancer et sommes devenus jeunes adultes dans le sida, nous avons commencé à travailler juste avant l’éclatement de la bulle internet, sommes devenus parents autour de la crise des sub-primes, avons maturé sous les attaques terroristes médiatisées… C’est dire si nous sommes marqués dans notre ADN par les virus et destructions de toutes sortes. C’est notre quotidien et notre horizon, un élément clé de notre maturation.
Cette sagesse est aussi liée à une certaine vision du temps qui passe. La fiction est une chose, mais on en a oublié en effet aussi les leçons de l’Histoire. Peste, malaria, grippe espagnole et leurs millions de morts, pas si loin de nous au fond pour qui se documente et lit encore. On a oublié aussi peut-être la grande leçon fondatrice du 11 septembre 2001. Ce moment de l’Histoire humaine où la fiction a réellement rejoint la réalité, où la catastrophe planétaire n’a plus été seulement décor de pellicule pour films à sensation, mais bien un ingrédient de paranoïa médiatique en live. Les attentats terroristes à répétition connus depuis lors auraient du nous ouvrir les yeux… Non le héros n’est pas toujours Américain, Occidental, musclé (photo ci-contre), dégommant toute menace à la sulfateuse et gagnant à la fin, sur une musique rock. Non, le virus n’est pas toujours médical mais parfois humain, dans l’humain. Mais non aussi, le re-départ vers l’insouciance fut à chaque fois possible pour nous tous collectivement. Nous avons l’oubli et le classement archivistique faciles.
Pour résister à cette facilité, nous avons re-exploré le thème viral. Revisité nos peurs, récentes et plus anciennes. Pour les mettre mieux à distance ainsi. Et voir ce que nous en apprenons, et de nous même avant toute chose.
8 auteurs, 20 textes
C’est là notre projet littéraire, écrit à plusieurs auteur(e)s réunis sur le principe de l’attirance pour le sujet, à partir d’une simple conversation que j’ai lancée sur mon compte Facebook en mars 2020. A partir de là, ils ont eu page blanche pour exprimer leur vision intellectuelle, artistique et émotionnelle de notre grande expérience collective, à travers le format de la nouvelle. Il a fallu ensuite réunir, relire, affiner, caler… je m’en suis chargé naturellement. Nous espérons que ces textes ouvriront en vous d’autres chemins et d’autres inspirations. Qui sait, peut être des suites ? Nous y songeons.
Alors pour vous mettre un peu l’eau à la bouche, sachez que nous sommes 8 auteur(e)s, réunis par l’amitié et l’amour de l’écriture. Trois femmes (Aurore Despres-Noyer, Line Fournier, Sylvaine Lucks) et cinq hommes (Manuel Atréide, Nicolas Celic, Laurent Dupin, David Legrix, Eric Médaille), tous/toutes quadras ou quinquas, qui vivent/travaillent à l’ouest (Sarthe, Bretagne, Normandie), au sud (Toulouse), à Paris et aussi à Bruxelles. Au fil d’une vingtaine de textes tous originaux, nous vous emmèneront sur des terres et époques variées, parfois d’autres dimensions : d’un ascenseur au passager bien étrange jusqu’à un vaisseau spatial en perdition totale, en passant par une chambre d’hôpital faussement calme la nuit venue, une sage discussion au coin du feu d’un lointain futur, un débat télévisé improbable et rêvé, un village d’en France trop longtemps confiné, l’évacuation précipitée d’un quartier général nazi ou encore l’intérieur d’une rame de train de banlieue trop masquée… etc, etc.
Nos envies, nos besoins
Evidemment, nous lançons publiquement #Viralex pour en faire quelque chose. Nous imaginons un objet livresque, imprimé et un bel ouvrage… quelque chose se situant entre le très graphique et l’effrayant, qui convient bien à nos angoisses collectives. Dans l’idée, des pages s’intercaleront entre les nouvelles, qui seront elles plus des illustrations, des créas graphiques et/ou des visuels/photos vus sur les réseaux sociaux… que nous légenderons juste de quelques mots inspirés et fous, des petites parenthèses courtes pour évader l’esprit ou le mieux saisir d’effroi.
Nous avons pris quelques contacts (notamment par les auteures déjà publiées parmi nous) avec des éditeurs qui pourraient être intéressés, mais nous en cherchons un ferme et définitif. Pour la partie sf et visuelle, j’ai aussi échangé avec Jean-Pierre Dionnet, cet exégète bien connu des terres fantastiques, ancien pape de Métal Hurlant (autre référence pour certains ici !) et enfin un modèle de curiosité intellectuelle… Je m’en excuse ici auprès de lui de ne pas avoir pu lui faire parvenir quelque chose de finalisé depuis nos échanges sur Facebook à ce sujet cet été. Nous allons nous corriger !
Pour joindre le collectif, me contacter ici, via mes réseaux sociaux ou par laurent.dupin [at] gmail.com… je suis en général assez réactif 😉