Lettre à tes 18 ans

Coucou fils, coucou Raphaël. Je commence souvent mes sms ou appels à toi comme çà. « Coucou » parce que c’est pas sérieux, « fils » parce que c’est ainsi qu’on dit dans le sud chez moi, des anciens vers les jeunes. Affectueusement, chaudement, simplement.

En 2018, dans une brasserie de Bordeaux

Tu as 18 ans aujourd’hui et je n’en reviens pas. Un truisme maintes fois dit par de meilleures plumes : que le temps passe vite, que le sablier se vide à coup sûr ! Comme tu ne seras pas forcément avec moi ce jour, pour des tas de raisons familiales pas très jolies à dire, hé bien je vais te parler ici, chez moi, sur ce que j’ai de plus personnel : mon blog. Et ce sera l’un de mes cadeaux.

Comme toi je fonctionne par la pensée rapide et synthétique, alors ce sont des images, des flashs qui me reviennent de toi. Je vais en prendre 4 dans le flot qui arrive et me traverse ce soir.

La première image qui me vient c’est toi il y a 18 ans pile dans cet hôpital de Lisieux en Normandie. Ou plutôt, vue la déco et la modernité ambiante, un hospice de fin fond de Roumanie post Ceaucescu (tu liras la bio, référence historique !), assez flippant. Mais tu ne voyais pas tout ceci toi heureusement, ni les mouches au plafond du bloc où ta mère besognait depuis des heures pour te mettre au monde. Des mouches, et des grosses en prime ! « On arrive pas à enlever les nids sur la façade…« . On était presque habitué à ces 10/12 heures de travail et à s’y assoupir dans ce lieu sordide quand le médecin arriva, sérieux, froid, fermé, entouré de plein de gens en blouse : « bon on le sort« . Et là en quelques secondes, j’ai cru vous perdre tous deux. Le sang sortant à l’occasion à profusion (alors que ça ne me fait rien pour autrui) faillit me faire tourner de l’oeil, mais je tenais bon. J’étais de cette génération de papas (né années 70) pour qui il était impossible de ne pas assister à l’accouchement de ses enfants. Ce même si on était un peu accueilli entre le stéthoscope et le porte-manteau, à ne pas trop savoir où nous mettre et quel rôle nous donner. Passons, les temps changent. Tu m’es apparu au monde… à l’envers, car on te tenait par les pieds, et les extrémités bleutées. Pas bon signe me disait-on. Je flippais grave. Mais ouf, au bout de quelques réchauffements par une infirmière aussi rustre que musclée, tu étais là bien vivant, costaud déjà. Je te pris dans mes bras car ta mère était un peu dans les vapes (on la comprend), et je t’emmenai dans le couloir : là je rejoignis ta tante Caroline qui arrivait à peine, larme aux yeux, rires aussi mêlés. On était heureux tous deux, tout cons aussi, avec toi dans ce couloir moche, sans lumière et venteux en prime. On savait juste que c’était une étape importante dans nos vies.

Sur la Côte d’Azur…

La deuxième image, c’est toi dans notre belle maison de Ruaudin, campagne près du Mans, quelques années plus tard, ou plutôt dehors. Tu ne tenais pas en place. Je te revois grimper sans la moindre hésitation à notre arbre dans le jardin, à son sommet, fier et conquérant. Je me revois me crisper, suer, mais ne surtout rien te montrer, ne rien dire, au contraire te féliciter. Je n’ai pas eu cette chance d’avoir un papa qui me rassure ainsi. Pas grave je lui ai pardonné depuis, ce transfert d’angoisse parentale. Mais je voulais faire strictement l’inverse pour toi, c’était une question de principe, un point d’honneur. Te pousser à chaque fois que possible, ne jamais te freiner, t’ouvrir les voies. Ainsi pour le vélo, la piscine qui me furent interdits (!) et que tu pratiquas tôt. Dans ce jardin, tu fabriquais aussi toute sorte de choses, tu innovais déjà dans une approche scientifique et exploratoire : je revois ton tunnel composé de cartons emboutis les uns dans les autres. Quelle idée simple et brillante, efficace et aisée… tout toi. Et surtout, ça tenait bon, c’était opérationnel. Il y eut après l’attrait pour les robots, les voitures, etc. Tu es un multi passionné, un touche à tout culturel et dans çà aussi, je me retrouve.

La troisième image, c’est toi il y a quelques jours chez moi, assis sur le canapé pendant que nous dînions devant un film avec ton frère. Je ne te vois plus assez depuis quelques temps, au fil des suites d’un sale divorce qui a abîmé notre famille. Tu me manques, mais je le tais au mieux, je le pleure en secret. Alors je t’ai regardé de côté sans trop te le montrer. J’ai vu le visage, l’assurance, la barbe d’un jeune homme. J’ai entendu une voix soudain plus mûre. Tu es en prépa scientifique maintenant pour devenir ingénieur, et depuis un an je t’admire sur ta terminale menée comme un chef. Cette force de travail, cette volonté d’apprendre que tu es allé chercher seul ! Tu possèdes un caractère exceptionnel mon fils, un gros potentiel comme on dit, qui me rend très fier. Car tu le mixes à une certaine élégance d’esprit, de comportement, de tenue qui me parle. C’est une partie de moi que j’ai voulu te transmettre. Je crois avoir réussi cela sans trop avoir appris ni appliqué de méthode. On fait comme on peut dans la vie, tu verras.

Ces trois images me sont venues spontanément. La dernière j’ai pris le temps de la sonder, de la cogiter. Si, ça y est je l’ai. Quand tu avais attrapé, dans ton berceau, mon chèche en coton couleur terre de sienne, alors que je me penchais vers toi. Tu ne l’avais plus lâché et c’est devenu ton doudou. Je revois tes petites mains, chacun de tes gestes calmes, doux, enfantins à ce moment, l’un des plus beaux que j’ai vécus. Ce chèche avait par la suite ton odeur, si suave… et on le noua et le recousu ta mère et moi un certain nombre de fois pour le faire durer. Cette odeur que j’allais chercher le soir, dans ta chambre, quand je rentrais du boulot de Paris, et que tu dormais déjà. Une odeur unique que connaissent je crois tous les parents : ta peau d’enfant, ta sueur (comme moi tu as chaud la nuit), les odeurs chérubines… un mélange savoureux qui me ressourçait instantanément, me faisait venir le sourire durable et le contentement béât. Il y en eut des soirs ainsi, où j’allais te voir dans ton sommeil et juste te sentir. Un truc presque animal… mais n’en sommes nous pas finalement à l’origine ?

A Orléans cette année

J’ai intitulé ce texte « Lettre à tes 18 ans », car ce chiffre nous parle à tous : toi, tes parents, tes grands-parents… toute ta famille, tes amis, etc. Chacun revoit ce moment de sa vie passée, chacun le projette quand il viendra. Ca reste un rite de passage clé. Que te dire qui soit juste et vrai, humain et sage ? Que rien de ce que tu imagines là maintenant, poses, construis ne sera tout à fait ce que tu obtiendras après ? Pas la peine, la vie te le montrera assez tôt et ça n’est pas grave au fond. Que tu vas vivres prochainement quelques unes de tes plus fortes émotions marquantes… l’amour, l’amitié, les changements de vie ? Pas la peine non plus, je ne spoilerai pas sur ces surprises car c’est un pur calice.

Avec ton frère Guillaume, dans le Vieux Mans…

Te dire quoi, sinon que tes 18 ans nous font tourner le compteur, du haut de nos 50 ans de parents et que tu ne t’en rends pas compte. Tant mieux. Que oui je relativise désormais sur tout ce que je croyais alors à cet âge, à mes jugements péremptoires, à mes certitudes si fugaces. J’aimerais que l’homme de presque 50 ans conseille le jeune homme de 18 ans que je fus, et lui évite bien des erreurs et des bêtises. J’aimerais te donner aussi ces conseils, mais non… j’ai compris que je n’avais pas à le faire. Pas comme çà. J’ai juste à te faire confiance et à être là quand tu viendras, à te répondre quand tu me questionneras, à te rassurer quand tu en auras besoin. Ou pas. J’ai juste à oublier (un peu) le bébé adorable, le petit garçon curieux, l’ado foufou que tu as été… pour laisser grandir l’homme que tu deviens.

La vie est trop souvent expérience de la perte. De soi, de ceux qu’on aime, de ses idéaux, de ses rêves. Mais il y a aussi les belles pertes, celles qui donnent le sourire, la patate, une fois la larme vite séchée. C’est cela tu vois, vivre tes 18 ans. Te perdre un peu, mais l’apprécier, en sourire, en attendre savoureusement les étapes suivantes que tu me donneras la chance de partager.

Le jour de ton bac (avec mention)

A l’instant de tes 18 ans sonnant, je te souhaite que cette année t’apporte tout ce que tu en attends, ou plutôt non… tout ce que tu n’as pas prévu, qui te surprendra, te bousculera, te déstabilisera, te réveillera, te fera douter et recommencer, reculer et repartir, abandonner puis quand même réessayer. Je te souhaite une belle et riche vie, intense et audacieuse, puissante et merveilleuse. Je te souhaite de la construire selon tes propres idées mais aussi de te laisser porter, dépasser même par tout ce qu’il y a de plus beau et fragile en ce monde… une volonté, un baiser, un je t’aime. Je te souhaite les grandes étapes classiques qui viendront tout comme les bonus que tu créeras seul, selon ta personnalité. Je te souhaite tout ce que je n’ai pas su faire et accomplir à cet âge, tout ce qui sera toi surtout. Je te souhaite le meilleur et le pire, car l’on apprend des deux, il faut impérativement les deux.

Je te souhaite un bon anniversaire fils, du fond du coeur. Papa

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