La Ligue du Lol en rédemption livresque ?

« Un journaliste qui a été pris dans la tourmente de la Ligue du Lol« … c’est sur ce résumé que Yann Barthès introduit son invité David Doucet, en ce 1er octobre 2020 sur le plateau de son émission, Quotidien sur TMC. Avec la musique roulement de tambour qui va bien. Et déjà ça part mal. On entend entre les mots comme une idée de contrainte, une douleur, quelque chose d’imposé que le sus nommé n’aurait pas souhaité ou pas provoqué. Un résumé qui ne dit pas tout à fait la réalité des choses à propos de cette LDL.

Doucet sur le plateau de Quotidien… exposé à des questions très douces

« On va pas refaire toute l’histoire de la Ligue du Lol… » poursuit d’ailleurs le présentateur. Ah bon, et pourquoi donc tiens ? Ce serait pas mal justement de s’arrêter aux faits et aux dates, de redire les choses pour être clair. Pour autant, Barthès lance bien un montage d’extraits de sujets de presse de l’époque, au moment de la révélation des faits, il y a un an et demi déjà, en février 2019. Les propos reproduits sont à la condamnation de cette Ligue et de ses agissements… mais ils ne sont pas commentés en plateau, ne suscite aucune réaction de l’équipe de chroniqueurs.

Relativisez, relativisez… il en restera toujours quelque chose

Puis l’on donne la parole à Doucet. Sa mine est sévère, sa voix rapide, pressée, il veut en dire trop me semble t-il, sûr de convaincre, sûr de ses arguments. Il rappelle en cela la posture de Vincent Glad dans un exercice similaire, en février 2020, sur France Inter. « Votre vie s’est effondrée le temps d’un week-end« , ponctue Barthès pour lui passer le micro en mode drama et toujours sur cette idée (fausse) d’acte subi. Alors Doucet, rassuré, commence par relativiser : « Les journalistes étaient minoritaires (…) il y avait aussi des femmes« … comme si ces deux constats étaient à eux seuls expiatoires ou preuves positives que ce n’était pas grand chose finalement, ce truc de la LDL. Un pas grand chose qui tient aussi à une certaine présentation du lieu des bobos (au propre et au figuré) : « Ils (les victimes, ndlr) ont l’impression que quand quelque chose se passe sur Twitter, c’est un phénomène mondial…« . Un peu bizarre de reprocher à la fois l’effet négatif vécu contre les membres de la LDL et parti des réseaux, tout en considérant que c’est un non-lieu, un non-événement quand ils y faisaient eux les vilains… Double langage.

Généralisation et amalgames

Une relativisation qui vire à la généralisation facile, qui excuserait tout comportement excessif parce que faits de jeunesse : « On commet tous des erreurs dans la vie » (bah oui ma bonne dame). Ce qui nous conduit tout droit au glissement très contrôlé, façon skieur qui négocie son virage sur plaque de verglas : « J’ai été témoin de cette violence des réseaux sociaux, je venais de découvrir les effets de ces lynchages en ligne » : aux premières loges en effet le jeune homme ! Il n’admet à l’invite de Barthès, que le canular téléphonique pour lequel il a rencontré ensuite sa victime : « J’ai essayé de comprendre en quoi j’avais fauté, je me suis excusé« . On sent l’effort dans ce « essayé de comprendre ». Si dur que cela d’ouvrir les yeux sur soi et admettre ?

C’est ensuite que l’amalgame devient beaucoup plus massif avec tout phénomène de violence connectée, et les « mises à mort sociale en ligne » comme il les nomme. D’autres affaires sont citées (les cas de la chanteuse Mennel, du comédien Philippe Caubère, ou encore du journaliste Mehdi Meklat… et même le suicide du chef japonais Taku Sekine), qui n’ont rien de commun à la Ligue. Et d’accuser au final Google de tous les maux : « On est passé du casier judiciaire au casier Google« , qui garderait trace éternelle de nos pires aspects. Ce n’est pas totalement faux, mais ce ne sont que des outils génériques et numériques à la base; tout dépend de ce que l’on en fait. Je reprendrai à ce propos ma bonne vieille analogie que j’utilise en formation et en cours depuis : un marteau peut servir à planter un clou, mais aussi… à défoncer un crâne. Il peut être manié par un brillant artiste réalisant un chef d’oeuvre, comme pris en main par Dexter. Il n’a aucune destination de départ, aucune intention de fait. De même pour les outils numériques que l’on a tendance un peu trop à voir comme des plateformes sympathiques, utiles, incontournables.

E-réputation ou e-lynchage ?

Plus croustillant est l’échange qui se passe sur la réputation numérique, qui « est tout aujourd’hui » appuie Doucet le geek-boy des médias en ligne, quand Barthès, plus « ancien », fait la moue en réponse. Pourquoi dans le cas de Doucet cette e-réputation a t-elle pesé ? Car « on tombe sur des articles sur la Ligue du Lol, qui ne vont pas donner envie de me recruter… ». Vérification faite ce jour 5 octobre soirée : sur les 10 résultats de la première page Google (rarement dépassée dans les usages réels), on trouve surtout des contenus parlant de son livre, une note de blog du Monde de 2017 (signé de Jean-Marc Manach, un des défenseurs de la LDL) lui permettant de se défendre sous la condamnation de la « présomption de culpabilité », ou encore une bio très avenante publiée par l’Ojim… Il n’y a pas du tout sur-représentation d’articles négatifs, qui le descendraient en flèche, le dénigreraient. Et d’ailleurs, tant mieux : on a pas à faire subir ce que l’on a soi même subi.

Mais peut être la douleur de Doucet est-elle plus liée à son ego, à son ressenti social de l’affaire, aux conséquences vécues au sein de son cercle proche : « On a l’impression que la terre s’écroule, les textos, les mails se raréfient de peur d’être éclaboussé, du coup social… l’unanimisme règne dans les lynchages en ligne« . Ou tout simplement, plus prosaïquement que… ça commencerait pas à puer ? Et donc à faire le vide autour des ex têtes d’affiche ligueurs du lol ? Alexandre Hervaud n’écrit-il pas en ce moment en bio de son compte Twitter qu’il écrit « des trucs et cherche du taf« .

Doucet se considère donc comme un e-lynché, dans un mouvement de balance personnel et sociétal : « On peut tous être lyncheurs et lynchés« . Et il conclut une fois de plus dans le drama : « Les bornes ont totalement explosé… l’humiliation publique dure sans arrêt sur Google (…) Ca détruit des vies, des couples, des carrières… Sur internet les procès se tiennent sans présomption d’innocence, sous les vivats et les crachats de la foule…« . Oui, et encore une fois, la LDL en avait une certaine pratique de précurseur.

Un style frontal et ambiguë

Concernant Doucet, j’avais déjà bien remonté le fil de ses coups de griffe dans cette note de février 2019 sur ce blog : l’interaction avec les comptes anonymes de la Ligue du Lol, le fichage en mode « dîner de cons » sur un Pearltree, la citation dans un papier ironico-méchant des Inrocks… Rien de grave certes, mais une certaine insistance, un côté rugueux, une complémentarité des tirs. Le tout sans l’avoir jamais rencontré « dans la vie réelle » comme on dit, ni ne lui avoir rien fait de personnel. Si encore je lui avait marché sur les pieds, ou passé devant dans la queue au supermarché… Pas très classe en fait le David, et d’ailleurs sa vie en ligne ne serait pas seule en cause dans son vécu pro douloureux, comme le détaillait Médiapart à l’époque sur l’ambiance « inside » Les Inrocks… Cherche t-il juste alors à rebondir et à se refaire une virginité dans les médias ? Le Point voit en son livre un « plaidoyer« , quand l’Express le dit « très attendu« . Ah… par qui, pourquoi ?

Il n’y a finalement que deux choses à retenir de cette molle venue de David Doucet dans l’émission Quotidien. 1/ on a connu la rédaction de l’émission bien plus zélée et piquante, qui a fait ici le service minimum, brillant par son silence gêné face à un confrère de leur âge, à l’exception de Lilia Hassaine (photo) qui l’a questionné avec justesse sur l’influence sur-estimée de Twitter par les médias. 2/ cette phrase de Doucet himself, qui résume bien tant cette période navrante que son exégèse rocambolesque depuis : « C’est un trou noir journalistique« . En effet.

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