« Je compte sur vous toutes et tous pour faire Nation« . C’est la phrase du président Macron que je vois répétée à l’écran de ma télé, en ce 15 mars 2020, en débutant cette note. La phrase de son allocution officielle précédente. La parfaite bande son de cette expérience ultime dans laquelle a justement été plongée la nation en son ensemble, et quelques unes autres avec nous…

Il y a besoin à prendre un peu de recul, de calme pour réfléchir quelques instants à ce qui s’est passé, à ce qui continue, à ce qui peut arriver demain. Ce n’est pas une crise légère ni insignifiante, ce n’est pas à classer vite dans nos archives pour passer à autre chose comme nos cultures zappeuses nous y ont habitué. On le sait désormais me disait mon fils cadet Guillaume : on l’étudiera plus tard dans les livres d’histoire. Et l’étude c’est justement ce qu’il nous manque, tant nous sommes le nez dans le guidon et le système nerveux connecté aux réseaux sociaux. Voici quelques aspects qui m’ont donné à réfléchir.
Le scénario hollywoodien, le trip sf
On l’a vu dans des films catastrophes, des séries tv… ce risque que courre l’humanité face à des pandémies virales plus ou moins tirées de nos modes de vie et de leur excès. On l’avait vu mais pas encore vécu. En tout cas au sens complet. Bien sûr il y a eu les crises alimentaires (vache folle, grippe aviaire…) et les virus Sras ou même plus lointain le Sida… Mais jamais un tel niveau de diffusion rapide et de réactivité désordonnée n’avait été observé et imposé à la population. Alors on lit dans le flot que Dean Koontz (auteur fantastique que j’affectionne) avait vu plus ou moins le truc lui, dans un de ses romans de 1981. Bien, nous voilà producteur de nouveaux Nostradamus modernes. Personnellement, la première image qui m’est venue est celle de ce film flippant de mon enfance : « Le Pont de Cassandra » (1976). Un criminel se fait contaminer dans un laboratoire par un virus souche, et s’enfuyant par un train, il va le transmettre à tous ses passagers et faire risquer une crise virale mondiale. Il y avait Sophia Loren dans cette production… mais sa beauté mature était néanmoins éclipsée par la dureté de l’histoire, finissant assez mal, montrant plein écran toute la cruauté des décisions de gestion « humaine » de cette crise, au « meilleur intérêt de tous ».
Sûr, on fera un jour un film sur le corona, façon biopic avec immersion émotionnelle et individuelle. Je vois le pitch déjà : l’histoire de Gaëlle (appelons la ainsi) infirmière aux urgences, et de son ex petit copain Franck (appelons le ainsi), flic en aéroport. Ils s’aiment encore mais la maladie les sépare, le confinement les éloignent. Vont-ils se retrouver, et Gaëlle révéler le scandale des hôpitaux sans moyen pendant que Franck arrête un espion chinois peut-être patient 0 ??? J’arrête là le délire. Et attention hein, garanti sans réalisateur ex pédophile et avec casting non élitiste ouvert aux minorités plurielles… En somme un film anti virus de la connerie humaine. Mais ceci est une autre histoire.
La prise de conscience progressive
Nous avons mis du temps à percuter sur les gestes à changer. Non pas que nous ne voulions pas, mais ils font tant partie des réflexes, des protocoles sociaux automatiques qu’on accomplit sans réfléchir. Un patron de start-up me l’avait dit au début des années 2000, à propos du combiné téléphonique en train de muter : il est difficile de changer rapidement des gestes séculaires. Et puis sont arrivés semaine dernière des « lanceurs (de gestes) d’alerte » comme je les nomme. Un collègue, un voisin, un ami… qui vous refuse d’un coup d’un seul une main serrée, une bise claquée, un contact tactile. Au début ça choque, ça heurte mais surtout ça réveille. Merci à eux alors, ils ont été les premiers vecteurs d’une saine réaction civique et d’une politique de prévention intuitive.
En somme une nécessaire compensation aux gestes légers qui ont suivi dans la population : comme ces étudiants se serrant volontairement la main ou se faisant la bise avec insistance, et en rigolant du sort… Une forme de défi stupide mais peut-être psychologiquement nécessaire, qu’on aura retrouvé ensuite dans ces rues de la soif rechignant à fermer à minuit hier 14 mars, ces parcs bondés sur leurs espaces verts (photo du Parisien ci-contre), ou sur cette montée de Montmartre noire de monde le 15 dans l’après-midi…
Séquence et posture qui m’ont fait repenser bizarrement… à un bar parisien : Le Dernier Bar Avant la Fin du Monde. Un bar bobo chic avec plusieurs pièces à ambiances totalement différentes entre elles… « vaste bar à la thématique science-fiction, manga et fantasy » comme le dit le bien informé Wikipedia. Aura t-on un jour un « Corona Bar »… et sa base-line de « vaste bar à thème épidémique, virus et boule de gomme » ? Qui sait. Nos capacités de récupération mercantiliste sont sans fin, et c’est peut-être rassurant au fond. Nous lessivons ainsi nos peurs, à défaut de savonner nos mains.
Le réveil par les loisirs gênés
Difficile de changer ses petites habitudes et encore plus de revoir son planning, ses rdv actés, quand on le fixe des mois à l’avance… Mais c’est bien par les sports collectifs ou de gros rassemblements touristiques qu’on s’est rendu compte « que ça changeait », qu’un truc était « en train de se passer ». Annulation de matchs et réunions de sports co, report de grandes compétitions sportives (foot notamment) et arrêt de la saison du ski en pleine finition. Personnellement, j’y suis allé avec mes fils (à l’Alpe d’Huez) du 15 au 20 février, profitant de séjourner chez mon oncle à Bourg d’Oisans. On entendait bien alors ces news sur ce britannique en station dans les Alpes ayant contracté et diffusé le virus… mais j’ai/on a passé outre, on s’est dit que ce n’était qu’un cas isolé. On a surtout pensé plutôt au manque d’enneigement global et à l’appel national de junior en chef, qui nous raccourcirait le séjour. « Le froid ça tue les virus« , me suis-je quand même mis à penser alors, le cul vissé sur une remontée mécanique. Même si oui, c’était au sein des attroupements et dans les télé-cabines bondées.
Froid tiens… c’est aussi celui de la Grande Russie, qui dit crânement n’avoir aucun cas de corona chez elle. Info ou intox ? Véracité médicale ? He ben non, le froid n’aide pas face au virus… La preuve, les cavaliers des steppes chinoises (photo AFP ci-contre) y avancent mais masqués eux-aussi ! Ce serait au contraire la chaleur qui aiderait dans cette mission, si l’on pouvait l’activer. Mais l’humidité ponctuelle de cette période pré-printanière ne semble donc pas très aidante. Et aussi cruelle : il fait beau dehors, de plus en plus, et nous serons bientôt confinés…
L’imbroglio politique
C’est une question de bande passante. La nation toute entière était justement lancée dans les élections municipales. On les disait pourtant molles, pas vraiment combattues, voire même pliées d’avance pour une majorité présidentielle bien chahutée au terme d’un an de gilets-jauneries et manif’ anti… tout ce que tente Macron. Puis peu à peu, leur us et pratiques locales sont entrés en conflit frontal avec les consignes de santé : comment tenir les derniers meetings (supposés plus gros) si l’on doit éviter de se réunir ? comment justifier de ne pas annuler les élections quand le PM conseille de rester chez soi ? Aucune réponse n’a été vraiment apportée. Juste quelques actions localisées ont voulu faire exemple : comme d’organiser des conférences-live sur Facebook, plutôt que dans des salles… A titre personnel, je me suis exprimé clairement sur le sujet, mais peu ont suivi sur cette voie. J’ai considéré qu’inscrit sur une liste électorale, je me devais de donner l’exemple et appliquer le principe de précaution.
Reste un gouvernement national et un exécutif à la peine, essuyant le feu de la critique tantôt sur son inaction puis l’instant d’après sur sa trop grande audace. Incohérent. Mais ne leur jetons pas la pierre trop rapidement : que ferions-nous à leur place, que dirions-nous, saurions-nous penser à tout au bon moment ? Il faut autant rester lucide et donc critique que savoir prioriser les postures et les combats. Le temps est à l’action et à l’entraide, collective, y compris vis-à-vis de nos managers, patrons, et in fine dirigeants. Je revois l’autre soir sur un plateau télé les yeux injectés de sang d’un Bruno Le Maire, trahissant sa fatigue et qui pourtant assurait et répondait les mots attendus. Un petit détail qui dit là toute notre humanité, dans ses faiblesses, à mesure que les noms de personnalité positives au coronavirus se diffusent.
Le spectre de la loi martiale… et de l’inconnue
12h ce 17 mars… ding-dong ? boum ? non, ni les cloches ni le canon n’ont tinté dans nos oreilles urbaines attentives. les chars d’assaut n’ont pas descendu nos avenues ni des check-points installés aux carrefours. Certain(e)s en parlaient sur les réseaux ce matin, regrettant cette absence de marquage sensoriel fort qui aiderait peut-être les uns et les autres à réaliser, à « entrer » en confinement. Ce mot que le Pdt Macron a eu du mal à dire hier au soir, a refusé même, pour le laisser techniquement prononcer par son ministre de l’intérieur. D’où cette application difficile ce matin même où les vidéos se multiplient de citoyens traînant à obéir, gênant le travail de forces de l’ordre encore ébahies de gérer cette mission. Le français n’y serait pas nativement ouvert, dit-on. il faudrait lui montrer des images de cercueils, ajoute t-on. Un peu comme ce qui a été fait en Italie, ou aussi quand ce particulier comparait face caméra la taille des rubriques nécrologiques avant et après début de l’épidémie dans la presse…
Gageons plutôt sur notre capacité d’adaptation et de résilience. Sur notre bon sens aussi, qui nous fait savoir que certains compatriotes… en sont totalement dépourvus. Nous n’y pouvons rien, mais nous nous devons de les aider au mieux de notre propre sécurité. Cela vaut dans nos familles et cercles amicaux, dans nos entreprises paniquées, dans notre société politique prise de vitesse. Ne la laissons pas franchir l’étape suivante de la loi martiale et brutale, comme dans un grand jeu vidéo sans règle. Et si nous sommes tant accrocs aux plateformes de streaming (fou que ce soit un sujet majeur !), revoyons alors des oeuvres clés et dystopiques comme The Man in The High Castle, ou encore V for Vendetta… Lisons oui, comme nous exhortait le président hier sur un ton un peu trop paternaliste. Mais lisons surtout en nous, pour mieux tenter… de lire l’avenir.