La ligue du lol, ce poison lent, cette cure utile

Prévisible. Après l’éclatement de l’affaire dite de la « ligue du lol » en février 2019 suite au papier de ChecksNews, puis ses suites disciplinaires vécues dans les différents médias concernés, nous venons de vivre la vague 3. Une forme d’Empire contre-attaque, pour prendre l’analogie starwarsienne. Cette vague est celle de la vive et multiple réaction des acteurs et impliqués. Je vais essayer dans présenter les principales composantes, qui sont comme une traînée de poudre, un effet dominos, ou plus exactement la diffusion d’un poison lent dans les veines des médias numériques.

Contre offensive blogueuse

Des notes dans Medium. Pour beaucoup, cela vaut caution qualitative, alors que… tout un chacun peut publier sur cette plateforme de blogs (peu le savent). Je me suis par exemple moi-même créer un compte en 5 secondes montre en main, et pourrais commencer à y publier si je le voulais. Passons. Donc, la contre-attaque a commencé par des notes anonymes (on appréciera le courage des auteurs) : « La fabrique des 30 salauds » (juin 2019) défend un amalgame entre le groupe FB des débuts et tous les torts qui s’abattent sur ses membres, retournant notamment contre les victimes (sans renier leur souffrance) l’absence de preuves tangibles due à effacement massif des tweets et posts de l’époque, 10 fois prouvés sur Twitter depuis lors. Puis la note « Je suis une femme membre de la Ligue du Lol » (sept 2019) prétend, toujours anonymement, expliquer l’envers du décor et l’enfer vécu quand on a été une ligueuse du lol.

Enfin un des acteurs majeurs de la bande (Alexandre Hervaud, ci-contre), plus musclé que ses ex camarades et non anonymement, a publié des notes Medium, dissertant longuement sur ce qu’est le loleur par rapport au liguo/ligua (tiens, ils se donnaient des petits noms entre eux/elles ?), sans une seconde envisager que leur bande ait pu jouer effet d’entraînement, ou de catalyseur en éveillant les très bas instincts. On sent chez lui que le sentiment de culpabilité est passé, qu’il voudrait même en découdre avec qui lui expliquera où il a fauté. Clou final, il nous assène ses explications définitives et averties des tendances US du moment. La dite cancel culture par exemple, qui fait sourire pour la plupart des ligueurs du lol (pas lui certes) qui ont justement passé leur temps à… « canceler » (effacer) leurs tweets non assumés. Qui sème le vent… etc, etc.

Vu de plus haut, point commun à toutes ces notes ? Elles sont affreusement loooooooooongues, denses, touffues, ardues à lire, pas sympathiques pour un sou. On voudrait couper les cheveux en quatre, noyer le poisson ou travailler le contenu quanti pseudo expert qu’on ne s’y prendrait pas autrement. A ce stade, compliment.

Contre-enquête du Point

Des notes de blog qui reviennent sur les faits… il n’en faut pas plus au magazine Le Point (mais après tout, c’est légitime, c’est le moment) pour lancer une « contre enquête ». Je mets les guillemets moi aussi, car c’est en fait un topo de plus mettant à jour le sujet. Nous sommes alors en septembre dernier. Le visuel d’ouverture du papier (ci-contre) est un oeil où se sur-imprime sur la rétine le logo Twitter sur écran… une belle symbolique qui dit le marquage au fer rouge d’une génération par la puissance du Dieu Réseau Social.

Perso, je suis contacté par mail le 9 sept. par une journaliste de cette rédaction, qui me dit avoir lu une note sur mon blog Le Mixer, que celle-ci est intéressante car mesurée et explicative sur la période, etc. Nous prenons rdv tel, et je me souviens que ses premières questions tournaient toutes autour de la véracité des premiers faits des origines. Je me sens alors comme obligé de devoir prouver les accusations diverses et variées, et ce pour tout le monde, un peu comme pris à défaut. Pas de soucis, c’est le jeu, j’ai moi-même questionné de la sorte dans ma carrière de journaliste. Je reste solidement sur mes arguments, et me contente de parler de ce que j’ai vécu/subi moi, de ce que j’ai observé directement: un angle peu traité et admis par les médias depuis le début de cette affaire, car sans doute peu vendeur. Je ne suis ni femme, ni d’origine étrangère, ni gay, ni VIP… je ne suis plus en position dans la presse parisienne. Bref, une quantité négligeable.

Et ce négligeable n’est pas anodin. Car c’est exactement ce que je ressentais déjà, tournant 2008/2010, quand ces new kids on the web ont débarqué, tout excités de leur agressivité juvénile équipée numériquement. Il fallait les écouter, leur faire place. Nos vieux médias en ligne (ZDNet dans mon cas), c’était peanuts; eux allaient tout réinventer sur les médias sociaux, tout déchirer sa race sur la place parisienne… Une forme moderne d’arrivisme social, une aventure à la Bel Ami 2.0 mais sans la classe ni le charme. Une certitude: un Maupassant ayant vécu notre époque aurait adoré décrire cette ambiance dans des nouvelles au scalpel.

Contre-pied de Causeur et Marianne

Octobre 2019, Halloween approche. Et la presse mag’ ressort le spectre LDL du placard. Causeur et Marianne s’y collent cette fois, dans une même posture plus audacieuse encore : dédouaner les faits, excuser les écarts de conduite. L’article de Causeur signé de la tonitruante Elisabeth Lévy (photo ci-contre) y va franco, évoquant carrément « un gigantesque bobard, une légende hollywoodienne de gentils et de méchants » atteinte d’une « fièvre épuratrice drapée dans le combat féministe« , ce qui prend même pour elle la forme des « procès staliniens, (où) la plupart des accusés avaient, sous la pression, reconnu leur crime et demandé pardon« . On croit rêver ! Lévy privilégie l’effet de manche au mépris de la moindre vérification. Avec par exemple l’oubli total des autres victimes de la LDL que furent les blogueurs, les youtubeurs, les experts, les influenceurs, bref… les « qui leur plaisaient pas ». Une meute « tire sur tout » pourtant 10 fois décrite dans les articles de février 2019. A ce niveau de réécriture et d’aveuglement, c’est du révisionnisme inconscient.

Marianne renchérit et titre lui en couverture : « Réseaux sociaux, la machine à lyncher« , en plus d’un article en ligne pour appâter le chaland. Repris par certains ex de la LDL (qui y témoignent, ndlr) elle enfonce le clou de ce que la presse classique (ancienne, old school, dépassée, sentant l’encre) a toujours rêvé secrètement : se payer le social media, le web, les objets cliquouillants qu’ils ne comprenaient pas ou si pu avant… Comme une sorte de conjuration des dupes et aigris, entre loleurs déchus de leur récente gloire et vieille presse acide de rancoeur.

Punch line du bidule ? Toujours chez Hervaud, ce sens de la formule cash et marteau piqueur, de la comparaison subtile comme une sulfateuse : « La Ligue du LOL, c’est trois fayots au premier rang qui se prennent des boulettes en papier dans la tronche par les clowns du fond de la classe et qui, dix ans plus tard, répliquent à la mitraillette en tirant dans le tas« . Une « posture victimaire un peu perverse » comme le qualifie un tweeteur, dont on pourrait longuement analyser la portée thérapeutique, mais qui aurait pu se dire autrement. Comment ? Rôôôôôô rien de bien compliqué. Je propose : « La Ligue du Lol, c’est 3/4 têtes de lard qui s’acharnent en riant sur les bons élèves de la classe, et qui dix ans après, quand ils les recroisent dans la rue une fois assagis, s’étonnent de ne recevoir d’eux que mépris ou crachat à leur pied« . Question de point de vue donc, toute chose relative. Mais bon, Marianne semble ne pas avoir subi la Ligue, qui qualifie même l’un d’entre eux de juste « Taquin, voire provoc’…« : on a connu l’hebdomadaire moins gentillet coquinou au royaume des Bisounours médiatiques.

Globalement, la ligne de défense « On nous a mis dans le même sac » est assez risible: pour rester dans l’analogie scolaire, ce serait comme si une bande de p’tits voyous et cancres patentés, pris en défaut, cherchait à rejeter la responsabilité de leurs âneries sur les camarades non impliqués, sur les surveillants forcément provocateurs, ou sur la direction par nature trop sévère. C’est osé. Le nul qui impose sa loi et ses gémissements.

Amertumes et coups de griffe

Ces derniers articles ne m’ont pas cité, ni d’autres victimes/touchés/secoués par la LDL… passons, c’est de bonne guerre et tout contenu ne peut viser l’exhaustivité. Pour être clair, je ne recherche pas de publicité autour de ce sujet, mais pas non plus à ce que les faits soient oubliés, zappés, minorés à ce point. Ca aussi, c’est cancel culture… je dirai même ignorance posture ! D’où mes témoignages en ligne ici sur Le Mixer et de mes contributions dans la presse (où l’on est venu me chercher, ndlr). Je n’ai pas à me taire pour plaire ou rentrer dans les analyses hâtives qui veulent surtout se faire valoriser.

Pour autant, quelques coups de griffe et amertumes ont aussi suivi, que je trouve symptomatiques : ils passent par des comptes Twitter d’anciens contacts/homologues des réseaux sociaux, « likant » le tweet d’un compte anonyme redresseur de tort, mais qui ne me suivent pas/plus, n’ont jamais parlé de ce sujet avec moi directement en tout cas, et encore moins depuis février dernier. Ce compte anonyme, assez remonté sur le sujet, demande même à agir (sur quoi, contre qui ?) Ca fait plutôt froid dans le dos ce type de formule. Ce d’un compte Twitter qui m’a dernièrement asséné des questions pour que je cite nominalement un membre de la LDL, sur des faits précis… Cela vient-il d’un jeune admirateur, d’une recrue spontanée ou serait-ce des nouvelles manip’ de type troll ou intimidation, comme la LDL en avait coutume…? On ne sait.  C’est ainsi dans le doux monde rêvé du social media, on oublie/archive vite et on a la condescendance alerte si ce n’est le verbe acide en permanence. Mais sérieusement, cette proximité de cause(rie) peut questionner sur l’ampleur du réseau LDL à l’origine, sur l’attirance qu’elle pourrait encore susciter.

Au fond, c’est peut être ce genre de comportements là qui devraient engager la réflexion plus vaste que le bac à sable navrant de la ligue du lol… Comment en est-on arriver à un tel détachement et même désenchantement de l’homo journalisticus connectus ? Comment les outils numériques l’ont à ce point transformé ? Est-on tout à fait sûr d’accepter cette mutation de l’ADN de la presse et de la com’, à ce point de dérive tolérée car matinée de coolitude ?

Extensions et amalgames

La critique contre la Ligue du Lol n’est pas exempte, il faut être honnête, de laisser aller. Et elle prête ainsi le flanc spontanément à la relativisation. Sans doute de par cet article du Monde de la rentrée, qui prétendait exposer un dossier plus global sur les dérives récentes de l’information en ligne. C’est astucieux et pas si bête même si un peu maladroit ici : je défends cette ligne de réflexion depuis le début, qui voient la ligue du lol comme un des symptômes d’une déconfiture de la presse plus générale. C’est qu’en amont, d’autres pugilats ont éclaté (notamment sur Twitter) avec le marquage un peu précipité du hashtag #liguedulol ou #ldl… dès que ce qui se passe en rappelle les ingrédients de base. Ainsi de l’affaire Ducros, déchaînant les passions entre cette journaliste de l’Opinion suspectée de collusion avec les puissances du lobby agricole et qui aurait autant subi qu’actionné du compte anonyme sur fond de règlement de comptes « confraternels »…

L’article du Monde aligne ainsi Glad, Emelien, Le Pen, Deutsch sans beaucoup de transition ni de rapport de l’un à l’autre. Le constat est que Twitter notamment, mais notre présence en ligne globale aussi, servent désormais d’armes de propagande individuelle au même titre qu’une entreprise, un lobby, une cause. Le self media théorisé dans les 90’s dans toutes les bonnes facs de journalisme, s’est naturellement complété d’une self com’ peu fine dans ses manières.

L’autre guerre, sur Wikipedia

Le combat ne s’arrête pas là. Plus durablement, accusateurs et défenseurs veulent (ré)écrire l’histoire. Ca se passe en ligne et déjà sur Wikipedia, ce Graal de la consécration numérique. Mon premier constat a posteriori : je suis étonné de ne pas être mentionné dans la note Ligue du lol au moins… une fois ! Je n’ai certes pas endossé le statut de victime mais non pour me défiler, mais juste parce que ce que j’ai subi me paraît léger en comparaison d’autres traumas. Il n’en reste pas moins réel. Avec le recul, je vois mieux l’enchaînement des faits me touchant entre un listage sur les pearltrees, puis les coups de griffe des comptes Twitter trollers, et enfin la publication finale du papier des Inrocks. Je l’ai déjà raconté ici, sur la note « malaise en twittosphère« .

Wikipedia… terre de guerilla et de réécriture de l’histoire médiatique immédiate.

Sur Wikipedia, sa communauté tente de pondérer les choses : elle affiche en tête de la note la mise en garde: « Les contributeurs sont tenus de ne pas participer à une guerre d’édition sous peine de blocage. » Et dans sa section « Membres connus du groupe », nouvelle réserve de fond : « La pertinence de cette section est remise en cause. Considérez son contenu avec précaution. Améliorez-le ou discutez-en. (février 2019) »

Perso j’ai toujours été surpris (avant cette affaire), de l’existence sur Wikipedia de notes sur des gars qui -tout respect pour eux mis à part- n’avaient pas encore accompli des oeuvres et/ou vies aussi denses à inscrire dans la postérité. Dans le cas de Vincent Glad par exemple, sa note a été créée en 2012… il y a 7 ans. Il avait alors à peine 27 ans ! Et cette note est aussi longue voire plus que celle d’un… Pierrez Lazareff ! Plus récent : le journaliste Azzeddine Ahmed-Chaouch n’a lui… pas de note Wikipedia. On le voit pourtant en tv sur Quotidien depuis bien plus longtemps que VG. Est-ce son passage cette année là à « Nulle Part Ailleurs » sur Canal plus, qui a nourri l’intérêt wikipedien ? Je me souviens en tout cas que dans ces années webeuses et influenceuses (autour de la Cantine numérique de Paris notamment, période avant Numa, photo ci-contre), on causait souvent autour d’une mousse de ce sujet obsédant : comment décrocher la fameuse bio Wikipedia, tant pour des marques que des seconds couteaux avides de notoriété… que nous étions toutes et tous. Le virus média qu’on vous dit !

L’inconnue littéraire, juridique et… corporatiste

Des notes de blogs, des articles magazines, du buzz et des clics. Mais à l’arrière scène, se jouent des bras de fer bien plus intenses et profonds. Chacun des camps fourbit ses projets de livre témoignage, qu’on dit imminents ou en relecture, sortis pour certains, qui vont réécrire l’histoire définitivement à défaut de calmer les esprits. Des velléités littéraires rédemptrices aussi, chez de nombreux influents qui ont tourné la page, ou à qui on la tourne pour eux, au cas où ils s’accrocheraient : à ce stade, on souhaite souvent se raconter, en tant qu' »insider » comme on m’avait moi-même nommé il y a quelques années, quand j’avais tenté cette aventure littéraire avec un mauvais éditeur (passons).

Ainsi du livre d’Emery Doligé par exemple, qui aborde la question de la LDL comme l’indique A Voir, A Lire. Un grand mix chez cet homme de médias et de web très dur à cerner, que dit ce résumé : « une blogueuse l’accuse d’harcèlements, des faits remontant à dix ans. Tout en reconnaissant des agissements à l’encontre de cette femme via son blog, il livre sa vérité. Parole contre parole. » Le tout Paris bruisse des fuites sur les prochains livres à venir, qui en raconteraient des vertes et des pas mûres sur quelques ligueurs… Certains et certaines retiennent sans doute leur souffle en ce moment. En fait une génération (la GenY) est tout simplement en train de vieillir et de se faire remplacer par plus furieux et expéditifs qu’eux. Et entre eux, derrière les sourires de façade et les likes rapides d’avant, ils se règlent aujourd’hui leurs comptes. La fameuse leçon de la roue de la vie…

En outre, de façon plus ou moins publique, il est su que les principaux acteurs ont pris conseil juridique et fourbissent leurs plaidoiries pour une revanche éclatante et à venir. On ne sait trop quelle juridiction traitera du problème, si ce n’est la Prud’hommale, en effet actionnable face aux décisions sans doute un peu rapides des journaux qui les employaient. Ce d’autant que le « nettoyage » a continué depuis, à ne prendre pour exemple que le cas des Inrockuptibles (cf : cette section de Wikipedia) qui sent le climat délétère à base de règlements de compte de prédateurs. On est loin du monde des médias ouvert, du journalisme utile qui fait rêver et venir à ce métier. Pour ma part, alors que j’en ai été un lecteur assidu et gourmand pendant de nombreuses années, j’ai totalement décroché des Inrocks : je n’arrive plus à lire ce titre depuis la révélation de la LDL, ni même à le prendre dans mes mains.

Une remarque: le manque véritable, noté d’aucun, est peut-être ailleurs… Chez les autorités connues de la presse. Des lieux où ce débat aurait du avoir lieu. Après une note engagée sur son site, le SNJ n’en parle plus. Pas plus que la CCIJP. Je les ai questionnés sur cela, pas de réponse ferme pour l’heure, même si on me précise en cours de route de l’intérêt pour le sujet (je mettrai à jour si besoin). Je le redis, la condamnation et le bannissement web des membres de la Ligue du Lol n’est pas la bonne posologie. Je le redis, cette tartuferie de la presse en ligne aurait pu/du se régler autrement. Confraternellement, humainement. Que les leçons apprises au passage soient réellement posées, échangées, discutées. Qu’on se rencontre vraiment pour se comprendre mieux et avancer dans nos métiers respectifs et nos envies de faire progresser le schmilblick. Alors je lance ici l’idée qui me trotte en tête depuis un moment: celle d’une conférence, d’un rendez-vous de débats et ateliers « Après la Ligue du Lol« … Ca me semble plus que nécessaire… vital pour la continuité de nos démocraties numérisées.

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