Visite impromptue et hors saison à Station F

Je me devais de venir ici. Je l’ai fait cet été, avant de partir dans mon sud natal. Pas d’a priori, si ce n’est positifs, malgré les premiers articles lus sur le lieu, plutôt dubitatifs. Station F a fait jaser oui. Pensez donc ma bonne dame, un tel lieu, aussi grand, dédié aux start-ups et à l’économie du web. Mais bon, je vais donc reprendre mon filtre journalistique préféré (le regard neuf, le reportage façon Tintin) pour vous raconter « the place to be », la Mecque parisienne de la web industry.

Je le redis avant de me faire étriller : c’était l’été à Paris, en juillet, donc un contexte particulier. Premier contact, en quittant le boulevard du métro aérien non loin, les cheveux encore ébouriffés par les courants d’air. Coup d’oeil à GoogleMaps pour savoir si je vais à gauche ou à droite. Puis je trouve le passage « Alan Turing » (pardi) qui conduit au loin à l’entrée de Station F. Juste à côté, des locaux de Bercy, le ministère de l’économie et des finances. Pas franchement détendu ni vivant comme ambiance. En approchant, on ferme instinctivement les yeux et on voit défiler le passé. Quel qu’il soit, ce fut forcément un mélange de livraison, de marchandises, de quais logistiques, de cris et de panneaux directionnels. Ce fut vivant. Il en reste comme la trace, le vague écho, si similaire à tous ces lieux hype façon « loft indus » sur le retour.

Hôtesse refroidissante

Je suis sur le parvis (ci-contre), personne. Normal sans doute, car c’est la trêve estivale (je me répète). Mais marrant, car je pensais que le web ne s’arrêtait jamais lui, que c’était « full time conquest of the world » et « non stop imagining the future« . Pour le fabriquer, ce fameux GAFA franco-français de demain. Bah alors on en est loin encore les gars. Hôtesse d’accueil mollement réveillée par mon entrée. J’ose la folle question absurde et quasi impolie : « y a t-il un espace de co-working ouvert ici ?« . Et là, petit sourire en coin de mon hôtesse dédiée : « non, pour y accéder il y a une liste, et il il faut être tiré au sort dessus« . Ah bon ? Le web tout ouvert en sérendipité, l’esprit iconoclaste du pixel fou et détendu… c’est ici un peu comme une loterie formative et carrée ? Déception.

Pas grave, je ne me démonte pas. J’insiste juste car le protocole de bienvenue se serait sinon arrêté là. « Y a t-il un bar où je puisse me poser, et me connecter ?« . – « Oui c’est de l’autre côté » me fait-elle avec un ample geste du bras qui veut dire que c’est loin, que je vais en chier. Effectivement, je borde latéralement le lieu et c’est à l’autre bout de la halle. Cette allée latérale (ci-contre), c’est un peu un extrait de Chapeau Melon et Bottes de Cuir ou de Tati. Vide, long, bétonné, anxiogène, urbain quoi.

Aux cartons de miam et fûts de bière posés au sol, je devine un peu plus loin que j’approche le fameux bar « hype » et seul lieu ouvert réellement au public ici. Et il est effectivement beau. Seul bémol, si je puis me permettre : c’est tenu par… des italiens. Aucun problème, c’est une partie de mon ADN et de mon sang, de par ma mère, pis on est européens quoi. Mais ici ça cause en « scusa te« , « va bene« , « alora » et « va fanculo » en plaisantant, autour du comptoir principal. Même le code wifi est à l’avenant… (ci-contre) qui me met immanquablement à l’esprit une chanson italienne de variété des années 70. Pas sûr que cela fasse très local, et c’est dommage. Même si le côté jardins intérieurs, tapis et boiseries vintage a son petit charme indéniable très frenchy chic. Population des lieux : une jeunesse hype et en couple avec son ordi portable (je fais pas mieux), avec froncement de sourcils de série, mine investie, conversations à oreillettes… le tout indiquant qu’on bosse dur là, qu’on la tient notre start-up nation conquérante. « Tu la veux ta putain de guerre l’Amérique ? Tu vas l’avoir« .

Ambiance vintage & bobo chic, plantes vertes et connectés en osmose avec leurs écrans…

So chic le hipster web

Un peu avant durant ma visite, je croisais du travailleur du web dans les passages intermédiaires. Du bien sapé, finement barbu taillé et jolie coupe à la mode… ça sent le nanti, le fils à papa, le tuné. Pas de problème avec çà, mais je ne scanne pas du codeur fou, du bouffeur de base de données, du casseur de fire-wall en délire. Le décor est posé tout autour, à l’avenant, ça sent le HQ de grandes entreprises à coup de badges de portes et portiques, comme si on était là au siège du FBI. La classe. Mais pas très esprit pionnier du web en fait. Tout est désigné ici pour rassurer la grande entreprise hébergée qui voudrait s’encanailler web, tout en retrouvant ses codes de bourgeois des beaux quartiers du pouvoir. Une sorte d’hybride donc, de « ni-ni » qui pourra séduire le chef de projet web ex placardisé ou le politique en mal d’inauguration médiatique. Mais pas l’ex membre des Cantines numériques et de l’espace Numa. Snif, où sont-ils ces lieux foutraques des prémisses ? Bouuuuh, que sont devenues nos recoins hirsutes des temps premiers ?

Le coin bar, parlons-en un peu. Certes il y a la bonne idée des wagons remisés redécorés. Mais tout autour, on dirait un peu le concours du plus gros zinc branchouille de Paris ! Dont l’un arbore un mur (!) de bouteilles d’alcool impressionnant (photo ci-contre). On se croirait dans un lounge in des quartiers en vogue. Est-ce bien approprié au thème du lieu ? Je n’ai pas de réponse définitive. Mais ou bien alors, Station F proposerait-il un programme « création de start-up du secteur spiritueux »… et là il y aurait une forme de cohérence.

Je vais travailler (comprendre : lire mes mails, mettre à jour mes réseaux sociaux, recharger mes batteries…) environ 1h sur place. Le temps de boire un café allongé accompagné de son immanquable cake dispendieux. Je me suis installé sur une table haute à tabouret, le tout en bois façon récup’. Plutôt agréable, mais sans cette proximité putative des anciens lieux pré cités (Cantine, Numa) où l’on se parlait forcément car l’on était les uns sur les autres, coude à coude, clavier contre clavier. Mais c’était vivant, éruptif, créatif… et on en ressortait toujours modifié. Là je suis ressorti… mais comme avant. J’ai tourné les talons sans regret, même si par curiosité j’y reviendrais bien en pleine « haute saison », pour mesurer le delta.

Suggestions au débotté

Qu’aurais-je spontanément ajouté/modifié dans ces lieux ? Un open space/bar accessible dès l’entrée principale, faisant office de « gare de tri » et d’aiguillage. Et dans ce lieu, 0 paiement pour les boissons : à faire financer par les boîtes environnantes, quitte à laisser sur place des « boîtes à idées » pour les enrichir dans l’autre sens (par exemple). Peut-être aussi un écran digital géant, avec l’ensemble des heures de rdv des programmes (ouverts) délivrés dans les lieux. Mais encore faut-il qu’ils le soient, ouverts, ces programmes et animations. Peut-être enfin, quelque chose de plus fun, d’osé, de disruptif quoi… oeuvres d’art digitales, espaces de stand-up, zones de sport extrême (tyrolienne sur touuuuuuuuuute la longueur du bâtiment) qui fassent prendre un peu de recul, pour ne pas trop se la péter sérieux. L’humour (et le business) ç’aurait-pu être aussi par exemple une boutique « Le start-upper moderne », pour singer et détourner le concept de « L’Homme moderne », mais qui du coup aurait pu fournir en un seul endroit tout ce qui se vend qui soit geek, high-tech, utile. C’est dire si Station F a pour moi un défaut unique : se vouloir la vitrine d’un secteur en mutation permanente, au sein d’une forme figée dans le marbre.

Quand je repartirai de l’endroit (par l’autre bord latéral, je suis aventurier vous voyez), je croise un attroupement important, d’une vingtaine de personnes. Cool, une bande de webeux qui prend la pause et cogite leur prochaine appli ? Bah non… les serveurs et personnels de plonge des bars/restos, qui se réunissent avant le coup de feu.

C’était une visite en juillet, le redis-je.

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