Le prochain Lavardin

Dans la galaxie des polars et des grandes figures des enquêteurs, compte une comète de marque Made in France : l’inspecteur Lavardin. Création du cinéaste Claude Chabrol, nous n’avons malheureusement que deux films de cinéma et quatre téléfilms au crédit de ce génial personnage. C’est peu. Et ça tient à un drame: la disparition de Jean Poiret, qui l’incarnait si parfaitement sur les écrans. L’acteur s’était fait une place au rayon des comédies, et entrait avec ce rôle dans sa phase « je-fais-autre-chose ».

Alors, Lavardin, c’est quoi ? Un mélange détonnant et iconoclaste de Colombo (pour la pugnacité), de Wallander (pour le détachement sur les choses), de Scherlock (pour la méthode hors des clous). Le tout est mâtiné d’humour à froid, de lubies (comme les oeufs au plat au paprika) et de bons mots dans les répliques. J’aime chez Lavardin cette potentielle violence, ce ras-le-bol feint pour mieux progresser dans l’enquête de terrain, cette ironie permanente pour supporter le trivial de la vie. J’aime chez lui aussi le goût du détail et du contre-pied.

Il fallait bien sûr toute la science narrative de Chabrol pour caler ce personnage dans un univers parfaitement dédié : les faiblesses et turpitudes de la petite bourgeoisie de province. Des vices, des écarts, des basses oeuvres qui amènent toujours à des meurtres sordides et pathétiques, sur fonds de drames familiaux. Et qui décrivent toujours ce même cadre du petit confort nobliaux : cuir vieilli des fauteuils, douce chaleur des cheminées anciennes, velouté des espaces verts et jardins… Lavardin by Poiret y navigue en pratiquant aisé, mais sans en dépendre. 

Baer l’héritier

J’ai longtemps réfléchi à qui pouvait donc reprendre le flambeau de Lavardin, être à sa hauteur. Pas simple. En fait peu d’acteurs pourraient aujourd’hui être comparés à Poiret. Peu sauf un : j’en ai eu la révélation un dimanche 9 septembre, en l’écoutant à la radio, dans son émission succès de la rentrée « Lumières dans la nuit ». Vous m’avez compris : Edouard Baer. Il a tous les atouts : le maniement de la langue, la dinguerie stylée, l’oeil qui frise, la bonhommie comme arme de séduction massive.

Autre atout, qui serait en apparence une faiblesse en apparence : ne pas avoir déjà tenu dans sa filmographie de rôle similaire, ni vraiment testé l’univers du polar ou du film d’enquête (détective par exemple). Tout au plus a t-il joué le moustachu inspecteur Pujol dans le très oubliable Brigades du Tigre, de Jérôme Cornuau, en 2007. Si c’était un rôle interprété ici de façon élégante, stylée, raffinée, on ne peut pas dire qu’il y ait un lien direct avec Lavardin.

Comment je le verrai alors justement ? Peut être un Lavardin/Baer un peu plus sombre, un peu plus désabusé, mais tout aussi pugnace, presque maladivement, à aller chercher la vérité durant ses enquêtes. Coûte que coûte.

Alors bien sûr, ça semble désuet en 2018 de proposer ce revival… Mais par exemple, l’école des téléfilms et séries policières « french touch » vues récemment sur France 2, me semble aller de soi pour s’emparer d’une telle histoire. Quitte à en changer quelques ingrédients (ou pas) pour enrichir le synopsis de départ. Quelques propositions que je m’autorise :

  • époque : pas nécessaire de repartir sur du contemporain… Peut-être reculer dans le temps (les 80’s en mode revival), ou au contraire avancer dans la frise chronologique. Pourquoi pas imaginer une France d’anticipation, dystopique, dingue, où il serait un des derniers remparts du Vrai et du Juste? Une techno-police évoluant entre hackers et I.A criminelle, mais à l’ancienne
  • duo : il ne faudrait surtout pas lui coller d’adjoint comme cela se fait de partout, pour monter ces sempiternels duo ! Lavardin est un loup solitaire, un peu aigri de tout, un peu fou. Terriblement unique. Ou bien alors faudrait-il se baser sur des duos attachants, à la façon Nestor Burma, avec sa secrétaire… Ce serait aussi un moyen de féminiser les enquêtes dépressives, pour l’heure encore l’apanage de ces messieurs
  • cibles : taper sur la petite bourgeoisie de province (encore un sujet dans les années 80) serait une faute de goût, car elle a changé… Elle n’est plus aussi spécieuse, particularisée, détachée de la société commune comme ce fut le cas dans le temps. Mais des catégories quasi VIP pourraient servir de décor de remplacement : les bobos, les vegans, les hackers, etc. Intérêt : amener le côté vieux con de Lavardin à ressortir, comme par révélateur pour mieux étriller les ridicules précieux d’aujourd’hui
  • arme : il n’en a jamais arboré chez Chabrol… et ça lui va bien ainsi. Ou bien alors en faudrait-il une désuette, inutile, ridicule ? Comme un pistolet à eau qu’il prendrait au moment de donner le coup de grâce (mais par ses questions). Ou un petit jouet symbolisant une mise à mort, que seul lui et le criminel comprendraient.

Figure(s) voisine(s)

Au cinéma, il est plusieurs enquêteurs très proches de la posture et la manière Lavardin, qui pourraient aussi inspirer cette nouvelle écriture du personnage. J’ai nommé tout d’abord Fred, le policier aigri et désabusé des Mois d’avril sont meurtriers, tourné par Laurent Heynemann en 1987. Un film noir pur. Mais c’est surtout par son interprète génial que ce policier sortait du lot : un Jean-Pierre Marielle en costume sombre, cérébral, pugnace, désenchanté. Et surtout prêt à flirter avec les lignes du légal pour avancer résolument dans son enquête. Qui était autant une introspection dans ses souffrances.

Autre gueule livide de l’investigation à la dure et des enquêtes glaciales : l’inspecteur nordique d’Insomnia, version non remakée de 1998, incarné par l’acteur Stellan Skarsgård (vu depuis à Hollywood, notamment dans les productions Marvel). Froideur, anxiété, méticulosité sont ses armes naturelles dans un décors lugubre et désert de bout du monde. Economie du geste et du jeu sont aussi les traits caractéristiques de ces policiers : pas de course poursuite, pas de bagarre, pas de tir de mitrailleuse lourde en ces terres dépressives…

En télévision enfin, l’inverse opposé de toutes ces fines incarnations, on le trouve chez un Martin Riggs, le flic hors cadre et chien fou de l’Arme Fatale : le remake du film avec Mel Gibson. Ici, violence, vulgarité et laisser-aller constituent les manières « sexy » d’enquêter dans un monde (les USA) aux excès qu’on connaît. Peut être, quand même, un tout petit peu, le nouveau Lavardin devrait-il se mettre au goût du jour de 2019 et adapter phrasé et geste à l’époque. A voir.

NB : pour info aux éventuels futurs producteurs de ce Lavardin remix, j’ai réécrit pour le théâtre, il y a quelques années, une extension de scène d’un des Lavardin, le premier de la série, « Poulet au vinaigre« . Le fameux interrogatoire du docteur Morasseau (joué tout en fine folie par Jean Topart). Un modèle de bras de fer cérébral, un peu à la manière de « Garde à vue », autre film référent du polar esthète, avec le duel Ventura-Serrault

 

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