[Maj – 5, 12, 17/9 & 6/10/2018] – Il y a un aspect de « l’affaire Benalla » que je n’ai vu/lu/su abordé nulle part. Une chose pourtant évidente en 2018, que l’on vérifierait pour n’importe quel autre anonyme passant dans le champs des VIP : quelles sont les traces digitales, les signes d’existence numérique du fameux Alexandre Benalla ? Elles sont rares, mais ce n’est pas tellement une surprise pour qui veut faire carrière dans un métier où discrétion et effacement sont les premières vertus réclamés des donneurs d’ordre.

Le moins que l’on puisse dire, est que la vérification s’avère étonnante et pleine d’enseignements. Une requête Google ce soir 7 août 2018 sur les critères « alexandre benalla » nous mène rapidement à une note Wikipedia sur « l’affaire Benalla« . Outre des détails biographiques fouillés, on découvre surtout avec stupeur sa photo en 2013 (ci-contre), il y a donc tout juste 5 ans, qui donne l’impression de voir son petit frère ! Premier enseignement : s’approcher du pouvoir… fait grossir et fait pousser la barbe ! Disposait-il, outre un passe pour la salle de sports, d’un autre badge pour le restaurant de l’Assemblée ? Jamais bon signe de prendre ainsi du poids, notamment pour un agent de sécurité d’active… Soit il prend du galon et va s’asseoir dans les bureaux pour devenir chef, soit il se met de lui-même sur la touche. Second enseignement : Wikipedia zoome sur le visage de Benalla en action, mais la vraie photo d’origine est bien plus signifiante. On le voit en effet aux côtés de François Hollande lors d’un meeting. Ce alors que désormais le PS minimise le rôle qu’aurait tenu le garde du corps dans ses équipes.
Sur cette autre photo venant de l’AFP, datée novembre 2011, on voit clairement deux choses : déjà que les deux hommes ont connu la même courbe pondérale (!); plus sérieusement que la proximité du jeune agent de sécurité aux côtés de François Hollande est vérifiée. Maintenant, le connaissait-il personnellement ? Du moins autant que semble l’avoir connu Emmanuel Macron par la suite ? C’est une autre question, que les seuls clichés de presse et de meetings ne peuvent éclairer… Hollande peut très bien aussi l’avoir vu « dans le décor », sans plus s’intéresser que cela à lui
Pour le reste, la première page de résultats googliens déversent pléthore d’articles de presse. Rien de définitif, l’affaire étant en cours et appelée à le rester un certain moment.
Il faut donc appliquer un critère de temps pour en apprendre un peu plus. Par exemple, de janvier 2010 à janvier 2015. Le premier lien nous envoie sur les profils Facebook d’Alexandre Benalla, mais dont les photos indiquent sans doute des fakes… L’un d’eux, a bien le sens de l’humour présentant par exemple l’intéressé comme responsable de sécurité à Franprix depuis le 22 juillet. Pour le reste, le poids des articles publiés depuis juillet 2018, référencés sur des pages politiques plus anciennes en liens autres, écrase toute pertinence des résultats… Un vrai rouleau compresseur.
Profils en ligne
Il faut donc passer aux recherches plus ciblées, au sein des plateformes. Laissons de côté l’anecdote du profil Tinder, impossible à vérifier s’il en est le réel auteur ou une tierce personne, pour plaisanter ou nuire… Côté pro, c’est plus intéressant. Le critère « Alexandre Benalla + LinkedIn » ne donne certes rien a priori. C’est dans le moteur de recherche de LinkedIn lui-même qu’on déniche un profil a priori sérieux. Son CV y est exposé sobrement, avec une photo le mettant en scène sur le perron de l’Elysée, aux côtés de Macron et Trump. Sur Viadeo en revanche, rien n’existe sous ce nom. Ce n’est pas étonnant ici, beaucoup de professionnels ne s’installent que sur le réseau US. Il faut néanmoins se méfier de ces profils de réseaux sociaux : il existe par exemple aussi sur Instagram un compte « alexandre benalla », mais avec un avatar aux 2 majeurs en l’air… et surtout aucune activité connue à date.
2015 : l’année Benalla
C’est en appliquant des critères sur « Alexandre Benalla + sécurité » et limités à une période précise (janvier 2008 à janvier 2017) que l’on tombe sur quelques pépites trahissant un parcours pour le moins dense, où l’année 2015 semble avoir pesé :
- en avril 2015, le site Legifrance cite Alexandre Benalla au sein d’un « Arrêté du 3 avril 2015 portant désignation des candidats admis à suivre la session régionale « Jeunes » Ile-de-France (du 23 au 27 mars 2015) de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice« … L’INHESJ est un truc sérieux, avec une direction à 3 têtes de type profils haut de gamme, à base de magistrats hors cadre principalement. Une sorte de Sciences-Po des services de sécurité, ce qui peut accréditer l’ascension rapide de Benalla à partir des simples fonctions de bodyguard… A t-il cherché à se donner un peu d’épaisseur de trait pour prendre du poids à l’Elysée ?
en novembre 2015, le site abc24.ma évoque la création d’une antenne marocaine d’une société de sécurité privée (Velours Sécurité) qui sera co-dirigée par « José Bouillé et Alexandre Benalla« . Bouillé (photo ci-contre) a lui aussi un profil LinkedIn, assez sobre, gueule de beau gosse en costard. Sur le site web de l’entreprise, on apprend que, dans sa version internationale, son business la porte en… Amérique du Sud. Son dirigeant actuel, Ouali Aberkane est lui aussi (tiens donc) passé par l’Armée française (Marine) et est officier de réserve. Il dispose d’un profil Twitter (à 1 seul tweet !) et est référencé par ailleurs comme « auteur » d’un roman au titre explicite (« Homme de main« ). Un autre responsable de la zone Amérique du Sud, Laurent Serafini, est décrit par voyages-d-affaires.com en 2015 comme « policier français en disponibilité, (…) revenu dans le secteur privé« .
- en novembre 2015, le site africaintelligence.fr, indique pourtant que « Macron appelle à l’Elysée l’ex-garde du corps d’Hollande« … je n’en lis pas plus, l’article est payant au-delà. Sur l’Express, on voit déjà qu’en 2012, une guerre larvée entre gardes du corps du parti et services de sécurité officiels grondait sous les oreillettes et les gilets par balles… ce 6 ans avant la présente affaire de l’été 2018. Comme si les équipes « privatisées » étaient un mal nécessaire ?
L’attirance de l’objectif
Côté images, le jeu de l’été pour les journalistes et proches des partis a été de retrouver dans leurs archives… des « tronches » de Benalla, si possible dans des situations hirsutes. Mais peu ont été commentées en tant que telles : comme quand le garde du corps souffre et s’interpose, quand il fixe du cgtiste, quand il visite l’Elysée à 15 ans, quand il descend dans le bus des Bleus, quand il prend le TGV, quand il admire le patron, etc, etc. En fil rouge, le moins que l’on puisse dire est qu’il aime à se placer, être en situation, se trouver au coeur de ce qui se passe. Ou au contraire se contenter du rôle fort bien placé, d’éminence grise, d’homme de l’ombre, de « celui qui reste caché non loin », comme lors de ce cliché d’une visite dans une Fnac (ci-contre)… Ce double aspect (en vue, caché) est sans doute un des moteurs de son parcours et de sa psychologie, à sonder davantage.
Alexandre Benalla aime aussi à fixer l’objectif, à aller le chercher du regard. Comme sur cette photo du Salon de l’Agriculture, powered by Le Parisien. Il n’a visiblement aucune raison de regarder vers le photographe et lui sourire, et pourtant il le fait gaiement. Signe d’auto-satisfaction ? De simple bonheur à participer à la vie des puissants ? Des questions à sonder, au sein de ses motivations primales.
Au bilan : Benalla ne fait pas mieux que ses autres petits camarades, tous bords confondus. Des missions officielles le rapprochent des politiques en vue, entrecoupées d’activités de conseils dans le privé, à l’international, pour grossir ses revenus. Un mix somme toute banal quand on veut durer sur le secteur et grimper dans la pyramide sociale. Mais a t-il tout simplement voulu le faire trop vite ?
[MAJ 12 & 17 sept., 6 oct. 2018:] – Autre trait de caractère apparaissant au fil de la reprise de la commission d’enquête sénatoriale en cette rentrée 2018, le goût du bluff et de l’envie d’en découdre. Si on a pu le constater de visu sur le terrain et par vidéos, cela prend une forme plus littéraire et juridique depuis. Alexandre Benalla parle le 11 sept. par communiqués de presse et avocat interposés, de façon contradictoire en quelques heures, et échauffe les esprits. Oui, il ira bien devant la Commission du Sénat, mais bon… il a d’abord tenté d’y échapper. Poussant entre temps le Pdt de cette commission (Philippe Bas) à monter le ton d’un cran, et le rappeler à ses obligations. Coup d’épée dans l’eau.
Non content de ce court bras de fer assez stérile, il récidive dans le puéril par une déclaration des plus spatiales à France-Inter, où il s’en prend directement à ceux qui le convoquent au plus haut niveau ! Est-ce un coup de sang, ou un pion avancé sciemment au sein d’une partie d’échecs destinée à balkaniser l’affaire et à bloquer le processus en cours ?
Ce temps est aussi celui de quelques indices en terme d’affichage public. Dans la phase post crise et de préparation de sa défense pour aller devant le Sénat, A. Benalla aurait pu avoir divers comportements, donc rester discret. Au lieu de cela, il y avait déjà eu en août, dans la lignée de ses activités de sécurité périphériques (lire plus haut), l’anecdote de son supposé contrat auprès d’une starlette de télé-réalité (non démenti depuis). Puis début septembre, ces tweets le disant présent sur Paris, dans un palace près des Champs-Elysées. Un moment où les chroniqueurs parisiens évoquent à mi mot « ses réseaux » encore actifs. Rien de répréhensible, et compte tenu de ce qu’il lui arrive depuis juillet dernier, c’est même plutôt sain de s’activer pour se donner un futur professionnel sans avoir à… traverser la rue ! Mais c’est une fois de plus signifiant tant dans le casting que la géographie pointés.
Et la cerise sur le gâteau, l’estocade (que certains voit même responsable du départ de son premier avocat) arrive avec Mediapart. Le site d’information en ligne, coutumier des scoops détonants, révèle le 25 septembre un selfie datant de la présidentielle où A. Benalla pose avec une serveuse qu’il pointe par ailleurs avec une arme à feu. L’envers de l’image policée du garde du corps sérieux qu’il se donnait jusqu’ici ? Cette révélation tombe mal en tout cas, et écorne sa ligne de défense, tout comme l’image du président Macron. Car sur une autre photo, c’est lui qui pose avec cette serveuse, accréditant l’idée qu’il savait bien comment se comportait son agent de sécurité.
Pour prolonger : relire ma note du Plus/NouvelObs, sur les traces web d’Emmanuel Macron encore ministre…