Drôle de voir ce sujet sur TF1 hier, qui est allé se plonger avec malice dans les archives de juillet 98, retrouver les actuels champions de l’équipe de France… Notamment ce petit blondinet de Griezmann allait chercher des autographes auprès des héros nationaux d’alors. Le passage de témoin, la succession des générations, tout çà.
En juillet 98 j’étais journaliste aux Nouvelles de Falaise. Localier quoi, ce que je faisais depuis 3 ans déjà et de service ces soirs là en prime, pour les matchs des Bleus. Je revois parfaitement l’ambiance monter parmi la population, en fait bien plus fortement que ces jours ci et plus tôt. Dès la victoire en quart pui demie-finale cela avait été un festival en ville. Voitures, klaxons, chants, liesse… tous les ingrédients d’une communion populaire y avaient été livrés sans retenue aucune. On la voulait cette coupe, dans le moindre bled de l’hexagone.

Mais la finale les amis ! Tout avait commencé pour moi chez… des footeux. Le clan Legrix, de mon ami et collègue des Nouvelles, David. Une vraie bible footbalistique, connaissant tous les maillots, joueurs, parcours, sur des décennies et plusieurs contrées. Il m’a toujours hyper impressionné sur cette culture si profonde et vivante. Lui et ses frères, et ses parents, vivaient purement l’événement, en famille. Alors le partager chez eux, c’était un honneur. Je ne pouvais que leur consacrer dés lors un article (ci-contre) sur cette « ambiance » et ce vécu si particulier. Je l’avais commencé ainsi : « Etre footeux ne signifie pas forcément se vautrer devant sa télé, bières sur sa gauche, chips sur sa droite et bobonne au repassage. Cela fait partie des clichés du passé. Non, en 1998, les footeux vivent, transpirent, respirent ce sport par tous les pores de leur peau, et en version collective« .
Et conclu sur ces mots : « Chacun cache ses yeux, croise les doigts ou ce qu’il trouve… n’osant à peine croire à l’incroyable. Et puis pan, un troisième but, à quelques secondes de la fin ! Le Brésil est tout simplement ré-ta-mé. L’arbitre siffle la fin. C’est l’explosion de joie ! « On est les champions ! » (bis, triple, quadruple, etc.) Toute l’assemblée trinque au champagne, en suivant sur l’écran le bain de foule et la remise de coupe par le président de la République. C’est beau, c’est spontané, convivial : c’est le foot qu’on veut voir et vivre« .
La fiesta foot sans retenue
Puis ce fut dehors que cela se passait, à Falaise, après cette victoire sonnée. On le repérait par le son déjà, qu’on entendait monter de toute part, mêlant les cris de joies, les pétards, les sirènes, les klaxons… Puis dans les rues du centre ville, autour de la Place Belle-Croix et ses attenantes, la vraie scène s’installa. C’était un défilé incessant de voitures en boucle, dans des rues archi bondées où on ne voyait même plus le sol. Le journaliste que j’étais mitraillait à souhait toutes ces scènes uniques, et je finis même par y participer : m’asseyant sur le capot avant d’une voiture, pour rouler ainsi quelques centaines de mètres et profiter de cette folle ambiance. Je me souviens que j’avais été sidéré par ce mélange de genres, rangs, milieux, origines avec un seul critère de reconnaissance… un sourire en or massif ! J’avais croisé une élue du conseil municipale, toute joyeuse… on s’était retenu de se prendre dans les bras. Drôle hésitation !
Mais Falaise ne suffisait pas pour vivre l’événement. Avec quelques amis nous avions décidé d’aller continuer de fêter cela à Caen. La ville était elle aussi en folie, mais puissance 20, car plus nourrie de jeunes et étudiants, de touristes aussi et… de pubs ! Dans la rue Saint-Pierre notamment, les habitants ouvraient les fenêtres et poussaient la sono vers l’extérieur. Tant est si bien que tous les 100 mètres, c’était boîte de nuit dans la rue à ciel ouvert ! Les bars faisaient de même, et l’on passait ainsi d’une ambiance à une autre, d’un groupe à un autre, totalement joyeux, gais, joviaux, emportés. Aucun n’avait idée de regarder l’heure filer, on allait faire nuit blanche. Je n’avais jamais connu un tel état d’excitation populaire et personnel. Une fois peut être si, à l’Armée à Paris, quand nous étions allé danser avec quelques troufions de camarades, dans un bal populaire non loin du quartier latin. Mais c’était à bien moindre échelle. Une autre fois aussi, toujours à l’Armée, lors du Cinquantenaire du Débarquement en Normandie, mais bien moins festif quand même…
A la fin des fins, tous bien pleins (pas que d’émotions) j’avais joué malgré moi le rôle du capitaine de soirée. Je me revois prendre le volant de la voiture du copain (la R5 de Fabien) pour ramener toute notre fine équipe de fêtards à bon port, 33 km de 2×2 voies plus loin. Tous ou presque dormaient dans la voiture, bouche ouverte, cassé, parti. Moi je roulais à 30/40 à l’heure, pas plus, pour assurer, et ne pas céder à la fatigue qui finissait par me gagner. Je ramenai ainsi chacun chez lui, dans une ultime tournée. Le lendemain, une belle gueule de bois nous attendait tous, mais déjà au moins 2 à 3 pages du journal à remplir de textes et photos pour ma pomme. Pas simple dans cet état, mais les mots étaient venus facilement. C’est vrai que c’était une si belle histoire à raconter et à partager.
Génération 98
Pour beaucoup comme moi qui a eu la chance de vivre les deux événements, on se rend compte à peine que Deschamps fut à la fois joueur en 98 et sélectionneur en 2018. On le sait bien sûr depuis le début, mais je veux dire là que ça prend seulement tout son sens là maintenant, en ce 15 juillet. Et que ce qu’il est en train d’accomplir et peut-être bientôt réussir est rare, et pèsera pour le futur, notamment avec l’arrivée si attendue de Zidane sur ce poste. Et pourquoi pas… un duo de sélectionneur ? L’avenir le dira.
C’est vrai aussi que cette victoire des Bleus en 98 avait changé quelque chose dans le pays. La France black-blanc-beur allait alors bon train, on était aux débuts de cette « nouvelle économie » qui allait griser l’entière planète pendant encore 2 à 3 ans. Le gouvernement Jospin faisait plutôt du bon boulot sur des curseurs sociaux. Bref, tout allait bien et semblait devoir durer. Mais on ne savait pas encore, ou du moins on feignait de l’ignorer, que l’Histoire n’est histoire que de cycles, plus ou moins courts, plus ou moins solides. Et que celui ci comme les autres s’achèverait bientôt.
Et que sportivement, il s’ouvrirait sur un long tunnel pour le foot français, qui a fini par faire 20 ans de temps. Si long, si court, si loin, si proche. Comme pour tout phénomène socio-culturel, on a pas vu l’horloge tourner, le sablier se vider. Hier on aimait les Beatles, la new wave des 80’s, les premiers Star Wars… Hier on aimait l’équipe de France victorieuse. Et déjà 20 ou 30 ans, ou plus, défile dans notre frise temporelle personnelle et collective. C’est à la fois une leçon d’humilité et de tristesse. Nul n’est irremplaçable mais chacun compte à son moment, à son instant de gloire, avec son apport unique et précieux. Puisse cette génération là de joueurs des Bleus compter de la même manière et nous enivrer. Nous faire oublier un temps que tout ceci reste très fugace. Vive les Bleus !